Un chœur d’ odeurs caressantes pénètre à travers la fenêtre entrouverte et se répand dans la chaude atmosphère où Jeanne passe la plupart de son temps.
Cet angle de la maison lui sert de retraite. C’ est là qu’ elle retrouve son existence et sa vie.
Il semble qu’ en ce lieu, sa solitude se fait austère et belle pour l’accueillir.
C’ est là qu’ elle écrit d’ elle, qu’ elle peint ses rêves qui font le charme et le tourment de sa vie … Et ainsi qu'un libre oiseau sa pensée va et chante le bonheur.
« De si beaux jours ne devraient pas mourir sans saluer l'Amour... »
-Elle l’écrit toujours dans ses poèmes–
Et du simple désir, sa pensée vire à la fureur d'aimer et rêve les étreintes du celui qu’ elle n’ oublie pas, elle sent son haleine. Il s’ offre à elle comme un dernier espoir.
Son âme s’ exalte alors et quitte la terre insuffisante à ses besoins, mais perdue dans le néant, elle s’ arrête dans son vol et tombe…
Le calme retrouvé, elle écrit sur un bout de papier...
« Aimer et ne pouvoir être heureuse. Ah! Pour un jour d'Amour qui ne mourrait?".
Mais qu’ est- ce l’ Amour? …
Le regard voué vers le ciel, elle attend une réponse à la question qu’ elle se pose…
N’ est- ce l’ Amour une parcelle d’ espoir, le renouvellement perpétuel du monde? Rien n’ est plus parfait dans l’ univers que deux êtres qui s’ aiment.
Sans lui, Jeanne se sent désorientée, perdue.
Elle a peur du mouvement qui vient d’ elle seule.
Sans lui, son nid est comme un foyer sans flamme où elle se vautre ivre et fervente, heureuse et larmoyante.
Elle berce sans trêve son spleen et cherche un chimérique bonheur pour un temps qui lui reste.
Un léger frisson parcourt son corps. Elle voudrait que les saisons rétrocèdent plutôt qu’ aller de l’ avant.
Ou du moins qu’ elles s’ arrêtent.
O, pouvoir arranger soi- même son avenir et rêver la destinée qu’ on veut… Ô naïveté insolente... Peut- on arrêter le temps et changer sa propre destinée?
Entre la passion et la rêverie, elle lèche ses plaies… et la mort lui vient à l’esprit.
Ah! le repos… savoir qu’ on ne souffrira plus…
Mais quelle sera l’ autre vie?
Elle ressent dans sa poitrine quelque chose qu’ elle ne possédait pas… un infime battement qui résonne jusqu’à ses tempes...
Qu'est- ce donc que ses jours pour valoir, si elle les pleure, et si ceux qui suivent ressemblent à ceux qui s’ enfuient?
Ô soupirs, Ô inutiles paroles!
Et c'est ainsi que son regard se va poser doucement, là, où seule et silencieuse, agonise l'espérance.
Mais l’ espérance n’ est- elle la dernière à mourir?
Ne dit- on pas: « Il suffit d’ une minuscule graine d’ espoir pour planter un champ de bonheur… et d’ un peu de patiente pour lui laisser le temps de pousser? »
Mais elle, a- t-elle encore à espérer et le temps d'attendre?
Nul espoir ne s'attache pour elle au vol de ces heures oppressantes, de ce temps qui ne doit plus revenir !
Un bruit léger...
On eut dit le bruit des feuilles qui frémissent au vent.
C’ est la pluie qui vient fouetter son esprit.
La brume s’étend chamarrant l’ horizon d’ un gris délicat.
Un éclair déchire le ciel obscurci, le tonnerre retentit et la pluie, lourde maintenant, vient s’ abattre incontrôlée.
Le temps vire au mauvais.
Un nouvel éclair zèbre le ciel devenu noir… le bruit assourdissant de la tourmente s’étouffe dès qu’ elle ferme la fenêtre.
Et dans sa retraite à la douceur caressante, il n’ y a plus qu’ elle et un frisson de mélancolie. Elle se sent redevenir seule.
Et en ce lieu de rêves assassinés Jeanne laisse le temps effacer les mauvais souvenirs, source de regrets éternels, et laisse que d'autres, ceux qui lui plaisent, lui caresser le cœur.
Elle cherche avec étonnement le rêve qu’ elle aimât et ne le trouvant plus elle se dépite contre celui qui lui reste et fuit sans scrupule tous les maux qu’elle peut fuir.
À quoi bon compter tristement les jours qu’ elle a vécu ?
Le temps est trop précieux, sachons- en jouir tel qu’ il est !
Et la bagarre continue ponctuée par de tragiques défaites et de brillantes victoires.…
Ce qui entretient l’ illusion que l’ on vit et que l'on peut aimer encore.