Il ne faut pas être très vieux pour se rappeler une époque qui n’est pas très éloignée dans le temps, mais qui semble aujourd’hui de plusieurs siècles et, c’est grâce au concours d’une mémoire aussi fidèle qu’un microfilm, que Jeanne se souvient de son premier rendez-vous avec Jeacques comme si c’était hier…

Elle sait bien que c’est folie que de se relater si impunément, mais elle en tire un plaisir singulier et suprême…

Jeacques était de nationalité Corse, plus agé qu’elle de quelques années… C’était lui qu’elle avait choisi pour sa première expérience amoureuse, c’est à lui qu’elle se serait donnée pour la première fois…

Il habitait non loin de chez-elle.

Lorsqu’elle retournait de son collège, et qu’elle le rencontrait à l’heure où le soleil descendait derrière l’horizon noyé dans des vapeurs bleutées, et que l’air frais glissait sur sa silhouette, elle l’admirait… Il était brun et bien bâti, beau et intelligent, il étudiait architecture... les molles clartés du couchant venait mourir sur lui et l’entourait d’un reflet magique…

Elle se prit à l’aimer follement…

Les yeux levés vers la voute bleue où se montraient à peine quelques étoiles timides, elle priait Dieu qu’il l’aima aussi…

Un soir, dans la douceur du crépuscule qui lentement basculait dans les ténèbres sensuelles… il vint à sa rencontre… elle sentit une émotion nouvelle dont elle ne savait qu’elle pusse exister …

C’était un certain mouvement d’émoi qui lui ressérait le cœur et la troublait malgré elle… cet émoi qui croissait à mesure que s’approchait le moment d’exaucer son rêve et d’apaiser ses désirs.

La sensation qu’elle éprouvait fut des plus agréables… elle fut saisie d’une violente palpitation qui l’empéchait de respirer… elle parlait d’une voix altérée et tremolante… enfin elle puit dire n’avoir de sa vie éprouvée d’agitation plus belle…

Elle attendait le bus, il le prit aussi, s’assit auprès d’elle. Elle n’aurait jamais voulu que la course finisse.

La chaleur toute proche de son corps la faisait vibrer de cette douce résonnance qui allait crescendo, un frisson d’extase lui parcourait l’échine et des larmes discrètes, très discrètes, chaudes, lourdes et opalescentes caressaient son visage ahuri par la surprise, comme celles que versent les amants et les poètes… elle jubilait…

C’était çà, la volupté du mystère… elle allait exaucer son rêve, elle allait attenter à son innocence, elle le sentait, elle le voulait.

Finalement elle allait se régaler. Son cœur aujourd’hui, bat encore à se rompre à la seule pensée…

Et c’est après des jours de concupiscence que leur amour fleurit et s’épanouit.

Un soir d’été, il la fit toute sienne… avec maestria, lenteur et tendresse, il sut la faire jouir de cette jouissance paradisiaque.

Ils devinrent tout un.

Elle entend encore leurs sourds gémissements, elle sent encore ondoyer leurs corps en syntonie sublime chavirer dans l’extase plus profonde… On eut dit qu’elle touchait le paradis. Par moment, elle pense, le souvenir aidant, quand elle s'allongea sur le gazon d’un champs voisin de chez elle, c’est là qu’ elle s’abandonna pour la première fois, toute entière… Il posa sa tête sur son sein, lui caressa les cheveux, l'embrassa partout jusqu'à ce qu'il aventura ses lèvres sur son cou, elle le laissait faire.

Bientôt ses mains qui câlinaient son dos, se glissèrent sur sa peau. Des frissons l'envahirent, elle laissa aller son corps.

Leurs lèvres s'effleurèrent, puis il saisit son cou et appuya sa bouche sur ses lèvres, son corps, et son bassin contre le sien.

Elle sentit le rythme de leurs cœurs s’affoler, son souffle sur sa peau, leurs corps nus dansèrent un voluptueux ballet, accompagné d'un duo de gémissements psalmodiant leur jouissance.

Mon Dieu que ce fût doux, que ce f ût beau!

Et lorsqu’ils rentrèrent au village, ils restèrent muets jusqu'à leur arrivée. Ils étaient ivres de volupté.

L'air exhalait des parfums enivrants , Jeanne devait avoir 15 ou 16 ans, je ne sais plus exactement. Jeacques avait pris sa main en regardant les étoiles.

Cette main la bouleversa, elle ne sut pourquoi.

Était-ce sa douceur, sa chaleur?

Enfin ce fut un plaisir qu’elle ne ressentît plus en saisissant la main d'un autre homme pour la première fois et quand sa main a lâché la sienne pour la saluer, leurs visages se tournèrent l'un vers l'autre, et leurs bouches s'unirent en un long baiser de tendresse et de promesses…

Sachez qu’il n’existe pas sur terre de volupté plus grande que de se donner à l’être aimé… c’est une ivresse incomparable qui atteint une autre sphère, une autre gamme de sensibilité.

Quel désespoir quand ils se séparaient, elle restait enracinée dans ce paradis enchanté…

…Elle entretenait si amoureusement ce picotement subtil à l’endroit où sa tête s’appuyait au niveau de son cœur… qu'elle en gardait précieusement l’empreinte tiède dans son ventre, si bien qu’elle portait l’amour en soi… un peu comme une femme attend un bébé… Son existence était complète, elle n’avait besoin d’y ajouter une autre vie.

Son cœur semblait être partout à la fois.

Ils s’aimèrent longuement jusqu’à ce que Jeacques partit pour la guerre d’Algérie. Le terme officiellement employé à l'époque par la France était « évènements d'Algérie ». Le conflit se déroulait depuis 1954, principalement sur le territoire des départements français d'Algérie jusqu'en 1962 et le sort voulut qu'il n'en retourna plus, il fut tué comme beaucoup d’entr’eux qui partirent avec lui...

Ainsi, Jeanne en fut bouleversée, elle perdit cet amour qu’elle croyait éternel.

Elle se sentit tout à coup dépouillée de sa toute puissance, elle cessa de croire au pouvoir de ses rêves. Froide fut la douleur de croire que la chaleur ne reviendrait plus jamais.

Les répercussions du conflit furent sans pareil. La guerre entraîna de graves crises politiques jusqu'en France métropolitaine, avec pour conséquences le retour au pouvoir de Charles de Gaulle qui pencha pour l'indépendance en tant que seule issue possible au conflit, ce qui conduisit une fraction de l'armée française à se rebeller et entrer en opposition ouverte avec le pouvoir. Le conflit entraîna l'exode de la population des Européens d'Algérie, dit “Pieds-Noirs” ainsi que le massacre de plusieurs dizaines de milliers de musulmans pro-français.

Jeanne encore se souvient de quand, elle et sa mère allaient par les petites rues étroites du Vallons des Tuves où elles habitaient, prendre leur bus, elle, pour se rendre à son bureau à la rue de la République, et sa mère, pour se rendre à l’hôpital de la Belle de Mai, où elle prêtait ses services… elles croisaient des morts sur le cil des ruelles, massacrés à coup d’hachereau… encore elle en a les frissons d’effroi et de dégoût pour l’odeur nauséabonde qu’émanaient ces pauvres corps sanguinolants abandonnés là, sans que personne ne se daignât de prêter secours à qui encore restait un fil de souffle…

L’expérience de ces évènements fut dramatique inoubliable pour Jeanne et sa famille, car son frère Jeacqui subit le même sort que Jeacques le fiancé de Jeanne… mais lui, il en retourna sain et sauf, mais psychologiquement, il ne se reprit plus jamais…

Trop d’atrocités le bouleversèrent.

Privée de l’amour qui la plongeait dans l’extase, le squelette de ses journées vascillait et s’effondrait sans plus de joie ni d’espérance… Mais il est vrai que le temps est le grand ami de l’homme, rien ne s’altère, on reste toujours capable de s’indigner et de s’émerveiller.

Chaque jour on a l’énergie de redessiner notre vie comme si elle était une page perpetuellement vierge, la passion ne décline jamais…

Elle allait aimer encore. Jouissance non exempte de souffrance c'est vrai, mais en partie merveilleuse.

Aimer sans que cet amour fut conditionné.

Elle possédait alors, un trésor plus précieux que tout… ses dix huit ans!

Une nouvelle rencontre allait l’ébranler, la secouer après un an de solitude. Un flot de sang jaillit sous son crâne quand elle perçut sa voix derrière elle… et ce fut Lui, Umberto qui devînt l’Amour de sa vie…

Napolitain, de onz’ans plus agé qu’elle, elle en tomba amoureuse à l’instant… il en fut de même pour lui qui n’attendît longtemps pour en faire sa femme…

Mais entretemps, combien d’incertitudes d’appréhensions accompagnèrent Jeanne durant ce rapport contrastant. Combien de chamailleries… Leur mentalité était si différente, mais elle avait besoin de cet homme qui sût l’aimer malgrè son sale caractère, qui sût répondre à son feu, tout son être n’était que tourments, elle vibrait enfin de cette flamme qui la faisait vivre comme dans un conte de fées.

C’est lui qui vînt accorder sa vie, réaliser ses souhaits, satisfaire ses désirs, et elle apprit que l’amour se doit d’ être celeste…