Je n'offre ici que ce qui est resté en ma mémoire des quatorz’ans de Jeanne, de son séjour au collège qui dura le temps nécessaire jusqu’à son Bac... pour dessuite après trouver un emploi comme secrétaire, auprès de la Compagnie de Navigation Worms à Marseille, et de ses jours heureux et un peu moins qui l’accompagnèrent le long du chemin qui la vit devenir femme.
Au delà des règles absurdes qui accompagnèrent ses études, et de ses mauvaises notes en maths, tout se déroulait comme elle le désirait... Elle prit confiance en elle-même, elle allait tous les jours, comme de coutume à son école s'y rendant très élgante pour puis se changer dans les toilettes du bar des matelots qu’elle fréquentait avec son amie Ginette… il se trouvait assez éloigné de son collège, afin que l’on ne s’aperçoive pas de ces subterfuges, au risque qu’on lui confisquât ses affaires pour les lui rendre ensuite à la fin de l’année.
Elle rencontra durant le parcours de sa jeune vie pas mal de gens, en fit leur connaissance, certains lui furent sympatiques, amis, complices, proches. Nombreux durèrent l'espace d'un moment, elle ne s'en souvient même pas et d'autres lui firent aussi du mal la voyant refuser leurs avances...
Le temps eut un certain poids, un certain prestige pour elle, mais au-delà d’être prestigieux il fut surtout prestidigitateur.
-Sa vie était faite d' expectatives, mais quand tout finissait d’un seul coup, jamais qu'elle ne s'en résignât-
Mais il se peut que le temps n'est autre qu’une invention, il n’existe peut-être pas. Sûrement il y est l'entretemps, et c’est dans l’entretemps qu’il arrive bien des choses et dès que l’on s'aperçoit que l’entretemps a déjà fui et qu’il s'est établi ailleurs sans laisser d'adresse, il nous manque. Nous ne le connaissons pas, on le sous-estime jusqu’à ce qu’il ne réapparaîsse bien de temps après… et il nous présente le compte à la voix… "EXTRA"…
Mais qu’est-ce l’entretemps?
Je me dois de vous l'expliquer ayant fait des recherches... Il n’est guère facile de résumer ce concept de l’entretemps, pierre angulaire (fondement essentiel) de toute l’œuvre en prose d’ Orizet et sur lequel il s’étend longuement dans son prologue... (Né en 1937 à Saint-Henri, village proche de Marseille, où il passa son enfance.
Cet espace-temps qui jaillit au lieu de s'écouler…
[“L’entretemps, c’est ce temps à la fois diachronique (évolutif) et synchronique miraculeusement suspendu, de l’ordre d’une improbable éternité, qui échappe à l’illusion de la durée et de l’espace qui la constitue.
Orizet en appelle donc à Proust, soulignant que la Recherche du temps perdu s’appuie sur l’idée que le passage du temps n’est qu’illusion et qu’à certains instants privilégiés, l’homme peut accéder à «l’essence permanente et habituellement cachées des choses.».”]
Et Jeanne a vécu bien des entretemps jaillissants, extraordinaires, excellents...
Ô le temps... si logique et pourtant si imprévidibile!
Elle note d’une main attentive tous les passages de sa jouvence où froide était la douleur de croire que la chaleur, l’enthousiame, la ferveur, l’émerveillement ne reviendraient plus jamais lorsque l’entretemps s’enfuyait.
Elle s’étonne elle-même pour l’hardiesse de ses aveux, elle rougit même de se raconter et elle est presque irritée de l' indiscrétion et du jugement que certains pudibonds, bégueules se feront d’elle, car en entrant en soi-même, elle dévêt son âme, en oublie la pudeur et décharne son cœur qui “entretemps” s’est usé dans les rêves, dans les déceptions, dans l’impuissance de vivre en paix avec elle-même, mais aussi dans les Amours les plus passionnels, les plus turbulents, les plus fougueux…
Ce sont eux , les Amours, qui lui fournirent des ailes pour s’envoler vers des cieux merveilleux et qui la firent s’effondrer dans l’abîme aussi, au risque de ne plus trouver un appuie pour y remonter ou un issue pour s’en sortir. Mais il y avait toujours une main qui la tirait d’ affaires, ainsi elle aimait de nouveau, sans s'épargner...
Il doit y avoir dans les cœurs quelque impénétrable mystère que personne ne réussit à déchiffrer car non tous ont la même essence de vie que certains, et si quelques entretemps de Jeanne ont été parfois envoûtants et d’autres beaucoup moins palpitants, ce sont des sentiments contrevers qui l’ont toujours accompagnés et qui font part de la vie qui nous ballote sur une mer d’angoisse qui nous précipite parfois dans le chaos.
C’est cet alliance d'émois qui rendirent Jeanne vive.. impétueuse... fougueuse... comme à tout heure...
C’est à quinz’ans qu’elle connût l’Amour, le platonique, l'incorporel, celui qui la fit vivre dans la douce extase, dans des rêves féeriques, pleins de désirs secrets que jamais elle n’osait révéler tant ils étaient audacieux et impudiques…
Elle connut des idylles qui ne durèrent que l’espace d’un moment, elle en jouit "non dans le sens de jouir charnellement" mais dans le sens d'éprouver d'immenses joies intimes... et s'en réjouit surtout.
Expériences merveilleuses qui surent la faire toucher le ciel tout en restant sur terre. Un en particulier lui était à cœur, Claude, d’emblée, ils furent passionnément, gauchement, atrocement amoureux… désespérément oserais-je dire aussi, car ils apaisèrent ce désir de possession mutuelle qu’en se dévorant des yeux jusqu’à la particule du corps et de l’âme.
Ils ne pouvaient pas s’aimer, ce n’était pas le moment, à l’exception d'une folle tentative hors de portée des regards attentifs dans un coin d’une plage. Là, couchés sur le sable, ils restaient bien souvent dans un paroxisme de désir pétrifié, épiant le moindre soubresaut dans l’ espace ou le temps pour se frôler brièvement… Les doigts fuselés de son bien aimé, (à peine dixuit'ans, à sa dernière année de collège) à demi enfouie dans le sable, se faufilaient vers elle avec une lenteur tâtonnante ou bien c’était sa main tout entière qui commençait de ramper à sa rencontre en un long et prudent voyage, parfois, à l'abri des intrus, il effleurait ses lèvres salées…
Mais après ces caresses incomplètes, la tension exaspérée de son jeune corps encore ignorant et vigoureux était telle que même l’ eau bleue et fraîche de l’océan où ils se cherchaient encore ne parvenait pas à la calmer … Sa fantaisie caracolait comme les vagues, outrepassait l’horizon…
Ils goûtaient tous les deux ces moments d’extase, d’engouement et de passions sans jamais s’y être vraiment abandonnés.
Lui, il attendait qu’elle se donnât… Elle, Jeanne, malgré les désirs violents qui la secouaient, n’était pas prompte à s'offrir encore.
Ce n'est qu' à dix sept ans qu'elle connût son premier Amour, le charnel, le suave, le voluptueux. Ce guttural nectare savoureux. Elle en sent encore son parfum douceâtre, sa moiteur de miel et cette longue jouissance que non tous savent régaler...
Tout cela reste en elle.
Béatitude ardente et profonde comme un brasier qui encore se métamorphose dans son être en un fourmillement torride.
Mais cet idylle, ce béguin, qui ne dura que “l’espace-temps”, la chagrinat ... mais entretemps elle fut heureuse de le vivre et d'en jouir immensement...
Ce premier abordage avec l’Amour charnel lui fut si bien donné, si merveilleusement offert que la syntonie en été sublime...
Oh, Jeanne si jeune et si amoureuse...
Mais ce n’était pas Lui l’Amour de sa vie....
C’est lui qui lui apprit l'Art d' aimer avec tendresse…
Comment aurait-elle pu l' oublier… C'est Jacques qu’il s’appelait… Comme son frère bien aimé…