Le matin est radieux
Le ciel est fluide, haut, léger.
De petites nuées blanches plissent comme un surplis de prêtre.
Le soleil semble regarder par les trous d’ une dentelle.
Ses rayons tout-à-coup abolissent l’ espace.
Ouverte à la lumière, Naples.
La captivante Naples.
« Terre de rêveries, des Amours, des Persécutions… »
Jeanne marche lentement, détaille le décor avec passion.
Elle tient à flâner sans se soucier de l’ heure.
Son émotion croissante ne lui laisse à peine apercevoir son chemin.
Le Vésuve derrière elle a mis son habit blanc.
Qu’ il est beau!
Et rien n'empêche le moment d'être beau.
O, solitude, encore, toujours!
L’ esprit et les sens s’ affinent à mener une vie toute contemplative d’observations et de réflexions continuelles.
« Deviens- je visionnaire ou n’ est- ce plutôt que jusque là, j’ ai été aveugle se dit- elle? »
Cette ville n'est pas vraiment un Paradis, pourquoi?
Pourquoi le Paradis ne règne-t-il pas dans un décor de paradis?
C'est à en mourir de peine.
Elle vomit contre qui l’ administre toute sa rage inassouvie…
Elle fixe son regard sur la cité, et elle en voit tous les détails…
Elle absorbe par tous les sens et par l’ esprit autant qu’ il lui est possible.
Les yeux errants, elle voyage avec la fantaisie et fait des rencontres curieuses et souvent elle regarde navrée et presque avec désarroi le sentier qui porte là, vers le cœur de la cité… à sa fièvre, son agitation, sa misère.
Une indicible souffrance l'étreint.
Elle se demande s'il y a, ç a et là, de belles alanguies qui pleurent quelque chagrin. Comme elle.
Et elle demeure un moment songeuse.
Ses lèvres sans bruit, murmurent "Umberto". Les belles choses de Naples, irrésistiblement, lui mettent en bouche Umberto. Suspendue au souffle d’ air, elle cherche et se souvient que son cœur l’ aimait tant, tant et tant, et ne contenait que lui.
À sa mort, elle s’était sentie dépouillée brutalement de sa toute puissance. Il n’était plus là pour accorder la vie à ses souhaits. Elle devint vulnérable.
Et sa pensée bondit, se balançant de rêve en rêve, de tristesse en tristesse.
Toute l’ amertume de l’ existence lui semble maintenant, servie sur un bol de faïence…
O cet ennui de vivre qui lui rend la mort si désirable.
Est- ce que cette misère durera toujours?
Que quitterait- elle en sortant du monde ? Elle ne quitterait rien!
Il faut tout fuir quand on n’ y peut vivre aux côtés de celui qu’ on aime.
Le regard perdu au- delà de l’ horizon, elle fredonne à la brise embaumée, son espérance de laisser cette géhenne, afin de rejoindre la demeure où règne son âme jumelle.
Son chant a la douceur dolente d’ un appel d’ amante.
Ô quelle volupté pour elle de se retrouver dans les bras l’ un de l’ autre, de confondre leurs soupirs, de respirer à la fois les deux moitiés de leur âme. «Comme une fois ! »
Quelle douleur!
Elle voudrait vivre pour l’ amour et c’ est lui qui lui ôte la vie.
Le temps s’ effrite peu à peu et glisse entre ses doigts écartés.
Elle en perd le fil et ne cherche plus à comprendre l’ absence de l’ autre.
C’ est inutile et vain.
Elle meurt par degrés, et n’ aimant plus, elle a cessé de vivre.
Elle perd tous les jours quelque chose et ne le remplace plus.
Gagnée par la nostalgie, elle sent qu'elle ne parviendra pas à maitriser longtemps l'ondée qui veut lui jaillir des yeux.
Et tout à coup, elle rit et larmoie… et les souvenirs se perdent, la mémoire se déplace lentement et efface tout, faisant de tout un désert.
O, solitude, encore, toujours !
Et en attendant qu’ elle retourne, "la mémoire", Jeanne croit se reposer dans le silence.
Seul un oiseau tâte le vent de toutes ses ailes avant de s'envoler... et mu de tendresse, un chat errant s’ approche d’ elle, se frotte à ses jambes, queue en l'air, quémandant de l'amitié.
Avec volupté paresseuse, Jeanne le caresse.
Lui, bienheureux, ferme les yeux et se met à ronronner.