Dans cet espace temps, je viens là mon cher journal, continuer de te raconter l’ entretemps qu’ a vécu Jeanne durant ses vacances en France.
Après un bref séjour à Paris chez son amie Mireille, puis à Bordeaux chez son amie Brigitte, la voilà maintenant catapultée dans sa Marseille rincée par le bleu du ciel.
Alors qu'elle plongeait au milieu de ses secrets, sans aucune perspective de soulagement, elle rencontrait un ami de vieille date… Jean Claude.
Le destin?
C’était l'heure où le soleil allait se jeter dans la mer.
L’ horizon s’ ouvrait comme un brasier et prenait feu…
L’ immortelle nature se remplissait de parfums, d’ amour et de murmure.
Jean Claude, antan, à peine vingtaine, se mourait d’ amour pour elle…
Entretemps, elle, elle s’était mariée.
Elle n’ avait que 18 ans.
Elle aussi l'avait aimé, mais c'était une autre chose. Un amour chaste et pur, tendre, comme l’ on peut aimer un grand frère...
La place de son ancien village, le "Castelet" s'était emplie d'une foule vive et gaie. De ses artères voisines venaient se perdre le bruit de la cité qui s’ assourdissait sous l’ aile close de la nuit…
Et c'est là, au beau milieu de la foule remuante et bariolée, qu'elle faisait les retrouvailles inespérées.
Seuls témoignages de son existence dans ce lieu oublié.
Jean Claude n’ avait pas changé d’ adresse, il habitait toujours là, où l'air sentait encore la feuille de figuier.
Quoi qu'il en soit, alors qu’ il tournait son regard, leurs yeux se rencontraient.
Elle restait un peu surprise, puis un surgeon de joie envahit son cœur.
C’était bien lui, son ami d’ antan!
Sa mémoire se ravivait…
Réminiscences pour elle qui se retrouvait tout à coup catapultée dans le passé.
Il n’ y avait plus de détails insignifiants.
Cet homme devenu puissant, avait de l’ entregent, des manières... du charme…
Il fascinait encore!
Mais ça, c'est une autre histoire.
Oh, les beaux moments passés ensemble, les souvenirs, les rires, les pourquoi, les regrets, les rêves, les chimères ...
Leur entente fut exquise.
Il lui fit de guide tout son séjour durant jusqu'à ce qu’ elle ne se retrouva dans l’ avion qui l'emportait là, où personne ne l’ attendait si ce n’ est le silence et la solitude…
"Je te l’ avais déjà raconté mon journal… t’ en souviens- tu?
Mais tout à une fin tu sais."
Donc je te disais: ses vacances achevées, les préparatifs terminés... elle se pressait.
Elle avait pris du retard.
En compagnie de son ami qui s’était offert de l’ accompagner, elle le priait de faire vite pour ne pas rater l'avion.
Il faisait chaud dans la voiture qui roulait vers l'aéroport.
L'angoisse l’ oppressait…
Était- ce la tristesse d’ abandonner tout ce qui lui rappelait le passé?
Dès qu’ elle avait quitté la maison de ce dernier, son visage s'était embruni.
Elle ne s’était jamais sentie aussi déprimée.
Elle fermait les yeux et les souvenirs l'inondaient.
Des larmes lui montaient aux yeux. Elle avait beau se trouver ridicule, s'accuser de puérilité, elle n'arrivait pas à chasser sa détresse.
Ce séjour avait été merveilleux, surprenant, parfois exténuant, mais jamais ennuyeux.
Elle s'était retrempée chaque jour dans son existence antérieure. Celle qui charrie dans les destins les plus gais ou les plus tristes… jusqu’à l'oubli de soi.
Elle ne s'était arrêtée un moment d’éroder les pierres pour percevoir son Je, sa curiosité ne se rassasiait jamais...
À chaque pas, sa mémoire élaborait des strates antiques.
Il y avait les couches encore imprégnées dans son esprit et d'autres plus anciennes pour arriver jusqu’ au sédiment indéchiffrable de son enfance.
C’ est de ce sédiment que surgissait sa souffrance.
"La mémoire nous trompe et ce qui lui échappe avant tout est l’ ordre chronologique qui nous aide à comprendre, parce que nous avons l’esprit ainsi fait."
Tout lui était présent de sa vie…les images, les saveurs, les objets, les gens; mais ces images refusaient de s’ ordonner, elles étaient sans place, images toutes vives, conservées éternelles et parfois elle se demandait si la mémoire n’ avait pas raison contre nous.
Tout n’ est- il pas, au vrai, éternel et donc contemporain?
Des légers arômes étaient venus lui réveiller les sens et avaient fait durer le supplice.
Elle remémorait, cataloguait… répertoriait...
Arrivée à l'aéroport, elle avait salué Jean Claude encore assis au volant de sa voiture le remerciant pour s'être prêté, sans répits, à la recherche des débris du temps.
Folle entreprise!
Elle n’ avait pas voulu qu'il l'accompagne jusqu’à l’ avion...
Elle n’ aimait pas les adieux.
Elle lui avait souri d'un sourire tendre, presque envieuse qu’ il reste là, lui, alors qu’ elle, elle s’ en retournait dans un pays qui ne lui appartenait pas.
Une rivière de tristesse coulait de ses yeux à sa bouche, gâchait son regard.
Quand elle était sortie de la voiture, lui, attristé, lui avait dit:
«Reviendras- tu Jeanne? »
Pour elle, les promesses étaient sacrées…
On ne promet pas, tant pour promettre… si on promet il faut les maintenir les promesses. Coûte que coûte.
Oui, elle avait envie de dire oui, de revenir au temps où il l’ avait aimée.
Mais le désir de retourner à un passé qui n’ a plus d’ existence possible est lui aussi un piège sentimental qui peut coûter cher.
Regardons la réalité en face, ce qui a été a été et ne peut plus être!
Elle se répétait tout bas que de la même façon qu'on trouve la clef qui ouvre le chemin vers un être, il existe aussi des mots maléfiques, qui peuvent le fermer.
« Elle avait trop souffert une simili aventure qui finit sans même avoir commencée. Elle est encore là, à égrener ce souvenir et à chercher de découvrir sa faute prenant presque un plaisir pervers à songer ce fantôme qui vient la visiter à la lisière de la veille du sommeil, du conscient et de l'inconscient.
Au fond de l’âme il n’ y a que lui.
Elle croyait que le temps avec ses baumes apaisants l'aurait guérie. Mais en vain!
Appeler un médecin?
À quoi bon!
Les médecins ne pouvaient lui venir en aide, elle était prisonnière de cette chimère.
Il n’ y a pas de remède à cette maladie pernicieuse que pour ne pas effrayer, on appelle l’ Amour. »
Elle ne lui répondit qu’ avec un « peut-être! » et s’ en alla en fugitive.
Une étrange lassitude l’ envahit toute.
Sa fatigue n’était que la nostalgie pour quelque chose qu’ elle avait eu et qui ne reviendrait plus.
Le cœur gros, elle se dirigea vers les portes vitrées du hall d'embarquement sans se retourner.
Il faisait vraiment chaud car l'asphalte de la chaussée fondait sous ses pieds.
Elle avança vers les portes vitrées qui s’ ouvrirent à son passage.
Le hall climatisé était glacial... Elle eut un frisson.
Elle retournait dans le présent nourrie de son passé, ...
Même Jean Claude faisait part de son passé comme tout ce qui lui revenait à la mémoire…
(Sa Marseille avec ses hommes de différentes peaux, ses femmes, celles dont le voile cache leur visage et ne laisse entrevoir que des yeux d'une rare beauté, ses femmes en kimono, ses grattes ciel, ses petites maisons avec leur jardin, son vieux port avec toutes les couleurs de sa lumière, son soleil qui se couche en des endroits lointains.)
Elle parvient à briller des yeux en évoquant son village "le Castelet".
Et dix minutes plus tôt, avant que l’ avion ne décolle, elle se sentit presque soulagée à l'idée de prendre le vol, de s’ en aller de ces lieux qui lui rappelaient sa fraîcheur perdue, irrécupérable.
Il est si facile de vieillir, nul de rajeunir.
Le soleil avait chu, le ciel palissait, la nuit menaçait, mais la chaleur restait collée à sa peau.
L'air était devenu lourd.
Après un voyage à l'oriflamme des souvenirs, elle arrivait à Naples.
Je la vois encore poser son visage fiévreux contre les vitres qui donnaient sur la piste.
Un très long moment elle respira profondément… à quoi pensait- elle?
Elle descendit de l’ avion, prit ses bagages et attendit que le ciel dissipe les nuages de mauvaises fortunes qui traversent sans cesse le bonheur de la vie et se dirigea vers la sortie.
Elle regardait et peut-être attendait- elle une voix pour la réconforter …
Comme l’ espérance est violente!
Qu'est- ce une voix?
Un engagement, une promesse, un devoir?
NON!
Une gentillesse simplement pour apaiser l'âme qui ne demande rien d'autre qu'une voix.
Et sa pensée se perdit, se déplaça lentement, effaça tout, et fit de tout un désert, maisons, cultures, sentiments... sa propre vie même.
Pendant qu’ elle attendait qu’ on vienne la chercher, elle priait presque un dieu quelconque… le désir de revoir le visage aimé s’était fait si fort qu’ il l’avait aveuglée, et ainsi aveuglée, elle entendit un murmure qui lui caressa l’oreille.
Mais, l'aurait- elle entendue que dans sa tête?
Elle dut vite renoncer à trouver la réponse car déjà elle était dans la voiture qui glissait vers son nid où il y régnait la paix.
Et quelle plainte alors sur la bouche de l’âtre.
Seule une douce atmosphère atténuait la grisaille d’ une nuit pluvieuse.
...
Et comme c’était prévisible, jeanne ne dormit que très peu de la nuit.
Pauvre destinée!
Pourquoi dès qu’ elle se réveillait, un masque secret de tristesse tombait- il sur son visage et la condamnait à la douleur?
Ô misère! Pourquoi?
Des mots se cherchèrent dans sa bouche. Désespérément!
Seuls des pleurs muets montèrent lentement à ses lèvres et bientôt se transformèrent en des sanglots sans fin.
Oh, le fracas!
Enfin, le silence rétabli, nourrie du sel de sa solitude, le regard voué à la dernière étoile, le cœur étouffé sous la couverture, elle se laissa aller.
La vie n’était plus en elle. Il ne lui en restait que le regret et le souvenir.