Alors que la fête battait son plein, la mariée se tenait à l’écart, sa tante l’ avait maquillée comme une grande personne.
Elle lui avait mis du rouge sur les lèvres et les joues, elle avait ceint son front d’ un pendentif or et turquoise, du vernis sur ses ongles et lui avait offert son plus beau tchador tissé de fils de soie et d’ argent.
Comme le veut la tradition, elle couvrit d’ un voile le joli visage de la jeune mariée qui le garda pendant toute la cérémonie afin que personne ne la vît avant que le mariage ne fût consommé.
Les femmes tenues à l’écart, frappaient dans leurs mains joyeusement, les hommes dansaient ravis.
Chants et danses durèrent toute une nuit et aux premières lueurs de l’ aube, tout le monde s’ en alla se coucher.
Pour la dernière fois, les deux promis restèrent dans la maison de leurs parents.
Le lendemain, un mollah (érudit musulman) unit le jeune couple en mariage dans la mairie du village.
Après avoir dit oui, ils baisèrent le Coran qui regroupait les paroles que Dieu aurait révélées au prophète et messager de l'islam Mahomet par l'archange Gabriel, apposèrent leur nom sur un registre, on leur lu l’ acte de mariage.
Seule la mariée portait une dot. L’époux s’ engageait surtout à travailler et à entretenir sa femme et sa future famille.
Le soir, les femmes entreprirent la toilette de l’épouse. Elle fut lavée et parfumée.
Quand son mari fut enfin seul avec elle, il éteignit la lampe, se jeta sur elle en proie au délire et la fit sienne sans adresse, sans amour mais surtout sans la moindre délicatesse.
Pauvre petite fleur, elle fut excisée sur le naître. Après dix mois de mariage, naquit son premier bébé, puis vinrent d’ autres enfants.
En quatorze années d’ enfer, la jeune femme avait mis aux monde quatorze enfants, vivants ou morts, son dernier bébé naquit l’année où la révolution éclata.
Son mari était toujours à l’ affût de bons coups et de menus profits.
Tout ce qui était en marge de la légalité l’ intéressait.
Braconnier, chapardeur, c’ est la révolution islamique et les changements qu’ elle provoqua dans son village qui lui permit de se donner un rôle important.
Une aubaine pour lui!
Une fois par mois, il descendait à la ville pour ses affaires…
Quelles affaires? Sa femme ne le sut jamais, mais toutes les fois qu’ il retournait, il avait quelques centaines de rials en poche qui servait à acheter le strict nécessaire pour nourrir la famille.
Peu à peu, l’ homme délaissa sa fleur qui défleurissait de jour en jour.
Le bruit courut qu’ il avait une liaison en ville avec une femme dont le frère était en rapport constant avec des contrebandiers.
Des gendarmes étaient venus interroger le maire du village, mais ils s’ en allaient bredouilles, toujours!
Un homme avait été tué dans la vallée, et le mari de la jeune femme s’était trouvé sur les lieux.
Ce qui en fit un suspect.
On lui signifia de ne plus se montrer en ville, dès lors, il devint taciturne, violent, levant les mains sur sa femme et sur ses enfants. Les années passaient, et la jeune femme résignée, fanée, paraissait beaucoup plus vieille que ses vingt- huit ans.
Quand le régime chuta et que la République fut instaurée, rien ne changea dans le village, sinon que les hommes avaient droit à avoir plusieurs femmes.
Aussitôt, le mari rejeta sa femme et ne la toucha même plus.
Elle ne s’ en plaignait guère, au contraire, ce fut même pour elle une source de bonheur, mais de plus en plus effacée, elle devint aussi discrète qu’ une ombre, comme si elle avait honte de ne pas avoir su retenir son mari.
Je veux mourir disait- elle un soir à sa mère… « je veux mourir, maman, je n’ en peux plus… il me bat, il m’ insulte, il frappe les petits ».
Silencieuse, la maman ne savait que lui dire, car la tradition du village ne tolérait pas que les parents interviennent dans les affaires de famille de leur gendre.
Les hommes, depuis peu, jouissaient d’ une autorité absolue et eux seuls prenaient les décisions.
La jeune femme éprouvait de la honte quand elle traversait le petit village, on ne la saluait plus, on évitait même de croiser son chemin.
Mais qu’ avait- elle fait, que lui reprochait- on se disait-elle… de ne pas avoir su se faire aimer, d’ avoir un fils ainé chapardeur et menteur comme son père?
Elle s’ enferma dans un mutisme total, pleurant en silence et se taisant sous les coups que lui assenaient son mari et son fils ainé.
Quand sa mère mourut, elle resta cloîtrée chez elle refusant de préparer quoi que ce soit pendant une semaine…
Elle errait dans les ténèbres et forgeait de sombres pensées désespérant où trouver la force de se tuer.
Hier encore elle osait espérer, aujourd’ hui elle pleurait le bonheur de s’être crue aimée.
Elle reprit ses activités quand le père vint lui rendre visite et lui offrit le collier de sa mère et une lettre qui disait… « Ne pleure pas ma chérie, chaque fois que tu endosseras ce collier, je serais à tes côtés. »
Elle baisa le bijou, le mit à son cou, puis accompagnant son père sur le seuil de sa maison, elle lui baisa les mains et lui dit…
« N’ oubliez pas mon père que je vous aime… » et elle referma la porte derrière lui portant le deuil de l’ amour jamais né.
Prostrée, perdue, elle s'effondra en larmes.
Le temps passait, les feuilles tombaient, puis se couvraient de givre et le printemps réapparaissait.
Les arbres refleurissaient et certains arbres n’ avaient pas résisté aux intempéries de l’ hiver.
La nature est aussi cruelle que les hommes et ne fait place qu’aux plus forts.
Ceux qui ont subi des blessures trop profondes, pareilles à cette pauvre fleur excisée avant même d’ avoir eu le temps de fleurir, sont graduellement éliminés, leurs racines se dessèchent n’ ayant plus de force pour s’ alimenter et lentement meurent sans que personne ne s'en soit jamais soucié...