Volets clos, malade d’ amour, le désir s’ empare d’ elle, grandit!
Elle se tortille d’ angoisse et s’ ouvrent dans son âme des abîmes de tristesse dont elle ne peut rien.
Tout se mélange dans sa tête.
Elle réalise que sa vie n’ a plus de sens et son amour pour la mort acquiert des forces nouvelles.
Elle ne la regarde plus avec terreur.
Elle l’ attend et prie Dieu que ces yeux fatigués se ferment à jamais.
Dans une attitude extatique, le regard levé vers les étoiles, seules témoins dignes de l’écouter, elle exprime ce besoin qui prolifère de plus en plus menaçant. Ah, si Dieu pouvait la délivrer des chaînes de son corps.
Quand viendrait ce beau moment.
Quand la mort déroberait son âme.
Elle s’ abandonne au désespoir dans son lit inculte d’ amour, toutes ses blessures se rouvrent et surgit, tonitruant, un bruit de sanglots.
Elle pleure!
Des images de cauchemars se défont dans son esprit…
elle est comme morte, fantôme elle- même. Telle est la réalité.
Ô, méandres étouffants et douloureux de sa pensée.
Ô, souvenir. Signe qu’ elle n’ oubliait pas.
Et du tréfonds de sa mémoire, il lui revient sa dernière nuit d’ amour passée ensemble à l’ homme qu’ elle avait tant aimé.
Dieu quelle torture…
Elle revit les moments où il s'approchait d'elle lui tendant les bras.
Ils restaient debout à se caresser doucement puis, elle s’écartait de lui...
Paupières baissées, languissante, elle jouissait de son amour…
Il l’ embrassait sur ses yeux, sur sa bouche, dans le cou, et sur son visage apparaissait une expression de bonheur et de paix.
Fou d’ amour autant qu’ elle était folle, ils oubliaient tout.
Rien n’ avait changé depuis leur première nuit de mariage, sauf que cette nuit- ci, était leur dernière nuit...
Sans interrompre le long baiser qui les unissait, l’ amenant à le suivre dans sa danse charnelle, il la déshabillait.
L’ hâte n’était pas nécessaire, ils avaient toute la nuit.
D’ une main, puis de deux mains, puis des deux mains il lui caressait son corps, il l'embrassait d’ un vrai baiser, de ceux dont il venait de dévorer sa bouche et doucement, il se relevait continuant de la caresser tendrement alors qu’ elle soupirait d’ extase.
Les yeux clos, elle se laissait faire.
Un peu d'âme s'échappait de chacun de ses soupirs.
Il continuait à l’ embrasser tandis que ses mains à elle, passait de ses épaules à sa tête, qui soudain, la prenait dans sa bouche avant de se relever et de se serrer contre elle de toutes ses forces.
Ô, le plaisir, le plaisir sacré, le délire.
Elle sentait l’ amour la dévorer.
Il la soulevait, la déposait sur le lit et se tenaient enlacés pour longtemps.
Ils s’ embrassaient, ils allaient loin dans la communion du plaisir charnel pour mieux répondre à l’ attrait des âmes.
Ils s’ aimaient purement.
Mieux ne saurait-être la mort, la vie n'existait plus tant ils étaient unis.
Cette nuit là, leurs âmes s'étaient jointes et ne faisaient qu'une.
Non deux, trois ou quatre, une.
UNE!
L’ aube approchait. (Mais la nuit était- elle vraiment tombée?)
Il l'aimait comme par le passé, il refusait d'abdiquer, même affaibli par sa maladie, il lui prouvait qu'il restait l'homme de ses nuits.
Il voulait se rassasier d'elle, l'urgence le prenait à la gorge, il voulait faire des provisions d'amour pour l'éternité car cette nuit était sa dernière.
Il le désirait ici- bas et il préférait transiter dans l'au- delà entre ses jambes, que seul entre deux draps.
Il voulait consommer son mariage jusqu'à la lie alors que la tumeur maligne faisait ripaille de sa vie.
Ultime souhait.
Rêve d'un amant crépusculaire qui préférait ignorer la mort.
Parfois, il transpirait des larmes...
Baigné par la clarté minérale d'une demi- lune, il usait de chaque recoin de son corps comme si ce recoin eut été sa bouche ou son corps, pour la dernière fois sensible à l'amour.
C'était ses intimités que ses mains caressaient ou sa bouche embrassait.
Leurs gémissements de plaisir emplissaient la chambre et les baisers d'une avidité profonde transformaient leurs gémissements en cris.
Parfois leurs yeux se retrouvaient en une halte où le désir non pas s'apaisait mais rassemblait ses forces éparses dans le souvenir des instants passés et l'attente de ce qui allait être et qui serait, mais souvenir et attente ne faisaient qu'un dans l'intensité du regard présent.
Elle répondait par un sourire à son sourire, ainsi leurs yeux se retrouvaient et aussitôt fougueusement leurs bouches.
Le temps passait sans mesure.
Après de longs baisers, il la faisait sienne, très lentement, et il était tout entier en elle et elle toute entière à lui.
Puis, ils restaient immobiles, comme savourant le temps voulu, l’ angoisse de ne jamais assouvir le désir qu’ ils avaient l’ un de l’ autre.
Puis, elle se donnait, se donnait toujours plus à lui, à la fenêtre la nuit où la clarté toujours hésitante qui baignait le monde, avait une douceur infinie.
Son corps abandonné sous le sien, l’ appelait au plaisir le plus charnel.
Il commençait à bouger en elle sans la quitter des yeux. Elle ne le quittait pas des yeux non plus, son attente était suppliante.
Il dansait doucement, puis plus vite, puis très vite et très loin en elle, longtemps, leurs spasmes et leurs gémissements étaient ininterrompus, puis il la serrait très fort dans ses bras, il s’ arrêtait soudain, la regardait une dernière fois.
Il y avait un léger mouvement de leurs corps et un cri, le même cri issu de leurs bouches et qui ne s’ interromprait jamais, et leurs mouvements, pour convulsifs qu’ ils devinssent alors, ne brisaient pas l’ immobilité précédente mais au contraire, ils en étaient le centre et ils l’étendaient aux limites du ciel et la rendaient brûlante, toujours plus infinie et toujours plus brûlante, et ils furent consumés par elle, jusqu’ aux dernières particules de leurs corps.
Leurs gémissements cessaient enfin.
Elle le scrutait comme si elle voulait le fixer dans sa mémoire.
Farouche, désespérée, elle l’ embrassait et lui, il s’ abandonnait dans ses bras.
Elle le tenait comme un enfant, caressant ses cheveux, l’ embrassant doucement pendant que ses larmes coulaient alors qu’ elle répétait des paroles apaisantes.
Elle avait le vertige!
Comment vivre sans lui, comment retomber dans la solitude.
Son enfance lui revint à l’ esprit. Elle était ivre de larmes et pleurait sans bruit.
Une partie de la nuit se passait en demi- sommeils et caresses.
Il lui disait qu’ il l’ aimait, et qu’ il l’ avait aimée dès qu’ il l’ avait aperçue.
Il ne sut jamais qu’ elle l’ avait aimé autant que lui.
Le cœur serré d’ aube incertaine, ils faisaient l’ amour et se caressaient autant qu’ il était possible à leurs corps de supporter unions et caresses.
L’ un caressait l’ autre jusque dans son demi- sommeil, et il arrivait qu’ un éveil véritable ne précédait que de peu la jouissance, c’était alors tendresses et baisers à n’ en plus finir et bientôt, ils faisaient l’ amour encore et encore, allant quérir au plus loin d’ eux, le plaisir qui les enflammait d’ emblée à la manière d’ un incendie dévorant, d’ autant plus ardent et mieux perçu et scruté par leurs sens dans sa progression, lent, mais infailliblement fulgurant, et ils se rendormaient en gémissant encore dans leurs demi- sommeils.
Un long assouvissement d’ envol harmonieux s’ en suivait.
À l’ aube, elle était secouée par de nouveaux sanglots muets.
Une minute passée avec lui était une minute sauvée.
Elle posait sa tête sur son ventre, en léchait la sueur tout en continuant de le caresser.
Un grand vide se faisait en elle. Le vide du désespoir.
« C’était sa dernière nuit d’ amour!» ...
- Ô mon dieu, s’ il est vrai que vous existez, faites- lui trouver dans la pensée un asile contre les tourments du cœur.
Accorde- lui la paix.
Sa longue douleur a égaré sa raison.
- Ô destinée humaine, que veux- tu de nous, tant de vie pour périr, tant de pensées pour que tout cesse.
Elle blasphème! ...
La nuit, seule dans son lit à deux places, elle ne pense plus à un visage, mais à une absence. Usée et saturée de solitude, elle est incapable de raisonner, elle comprend qu’ elle est près de verser dans la démence.
-Ô souvenir souvenir, ton empire est dans sa chambre déserte et dévastée comme son cœur.
Toutes les fois qu’ elle y rentre, elle voit sa photo, mais sa place est vide et ses pleurs le pleurent en vain.
Quel isolement et qu’ elles sont heureuses ces femmes que le lien sacré du mariage a conduit doucement de l’ amour à l’ affection sans qu’ un moment cruel ait déchiré leur vie.
-Ô gaité, bonheur, grâce, qu’êtes- vous devenus?
Ah, si elle pouvait ne fut-ce que pour un moment, goûter encore l’espérance.
Mais le déclin l'a submergée.
Elle avait conservé longtemps son visage angélique mais sur la pente de l’âge, ses traits se sont comme alourdis.
Elle a peur des souvenirs qui s’ estompent derrière les murs de l’ oubli.
Volets clos, dans son lit inculte d’ amour, elle les enlace comme s’ enlacent les amoureux.
Elle ne peut vivre sans eux et se met à pleurer se laissant périr dans les transes de l’ abandon.