Une autre année a fui comme un éclair!
Le cœur abandonné dans une tristesse ineffable et le corps flétri par les ans, je pense aux lieux de ma jouvence où j’ ai connu l’ amour. Combien je l’ ai aimé!
Ah, il fallait voir de quel appétit je lui faisais honneur.
Les souvenirs de cet âge rajeunissent mon cœur et adoucissent l’ idée de la mort.
Ah, jouvence! Ne reviendras- tu jamais?
Les années qui s’écoulent sur ce sol qui ne m’ appartient pas, sont comme des arbres sans racine et sans sève. Tout est terne et morne autour de moi.
Même si mes amis me disent souvent… « Sois contente, il ne te manque rien! » Stupide jugement que le leur, quand tout le foyer du bonheur et de la souffrance est dans les secrètes de mon cœur… Où êtes- vous lieux de ma jouissance?
J’ ai épuisé ma vie, usé mon âme et l’ ombre des souvenirs est toujours là dans mes nuits terribles et brûlantes.
Vif est le chagrin et l’ angoisse me tord!
Un déluge de pleurs inonde mon visage.
Ma langue cherche vainement une formule d’ exorcisme pour adoucir la solitude que je sens forte en ces jours de fêtes et de recueillement.
Je souffre chaque année davantage de mes peines intérieures et la douleur me tue.
Dans mes rêveries solitaires, il me vient de retourner dans ces lieux où j’ ai connu l’ amour et les loisirs, et cette idée me remplit de bonheur.
La tristesse est rêveuse, et je rêve souvent…
… Partir, m’échapper, retrouver les traces perdues… Ah, si seulement j’ avais le pouvoir de changer l’ existence.
Cependant, quand la fièvre diminue et l’ enthousiasme s’éteint, ce rêve m’épouvante.
Alors que les molles clartés du couchant viennent mourir sur moi et m’ annonce la venue de la nuit, j’écoute le chant mystérieux de la pluie qui commence à tomber.
Harassée de pensées, je cherche vainement un sommeil qui ne vient pas…
Un chien ami jette de temps en temps un aboiement.
De grandes rafales de vent font grincer les ferrures des volets, claquer les portes mal fermées, les arbres se balancent en un large houle, se calment un instant pour déferler l’ instant suivant dans un rideau de pluie.
Je serre mon châle sur les épaules, et pourtant je n’ ai pas froid…
c’ est ma solitude et mon désarroi qui me font frissonner!
Avide d’ un bonheur sans nom, les souvenirs se raniment et rien ne retrace le passé comme le rugissement d’ une tourmente.
Plus que le retracer, il m'apparaît dans l’ ombre mûrissant la mémoire...
Il y a des moments où l’ on se croit la puissance de ce que l’ on désire et dans une sorte de délire, j'éprouve tout ce que l'amour peut éprouver: désir, plaisir, délice, délire, je ne suis plus moi- même… Toute mon âme est attirée par cet amour, j'ai besoin de le voir, de l'entendre, de le respirer...
Chaque battement de mon cœur est un appel…
J’écoute…
Un souvenir répond à ma tristesse...
« Viens! dis- je! »
Ainsi, la nuit se fait chaude et voluptueuse.
On dirait que c’ est pour l’ amour qu’ elle a remplacé le jour.
Languissante, brûlée d’ ardeurs folles, je délaisse la pudeur. Je ferme les yeux et me livre à corps perdu dans les bras de mon amant me laissant abîmer dans l’ extase de son sein palpitant…
Il m’ accueille dans ce lit complice et trouvant mes lèvres, il gouverne ma soif.
Fougueux, planté jusqu’à la garde, il m'embrasse le cou, la naissance des seins.
Il se soulève, avec impatiente, me découvre, j'ai à peine le temps d'être surprise par son corps nu et velu, que sa bouche, sa langue, ses dents, ses mains sont partout sur moi à la fois.
Nos cuisses se frôlent ardemment. O joie! Sa bouche erre sur mon corps qui pétille, il me retient, me bouscule, me fait vibrer… m’ enflamme!
Je cherche mon souffle: sa frénésie m’ enfièvre et m'envoie donner de la tête contre le firmament. Pris de furie, il cherche la fleur où reposer sa danse.
Il se renverse, râlant sous mes caresses.
Je geins aussi à petits coups dans ces draps où je me rassasie de son odeur, de sa chaleur.
Vertige!
Enfin on s’ abat l’ un dans l’ autre, vaincus.
Mes larmes coulent lentes et chaudes sur ses mains pendant qu’ il me susurre des paroles apaisantes.
Je m’ endors contre lui le serrant fort tendrement.
Mon rêve se prolonge. Je l’ aime, oui je l’ aime!
Je suis vivante!
Oh, depuis combien de jours, de mois, d’ années j’ attendais ce moment. Il était de retour pour donner fin à mon cauchemar et envelopper mon cœur qui a perdu sa chaleur.
Mais hélas, l'aurore fait jaillir la lumière.
J’étais ivre de larmes quand je me réveillais et pleurais sans bruit.
J’étais seule, désespérément seule.
Je faisais signe à l’ ombre transparente de revenir. Mais elle était déjà trop loin. Elle crut que je lui adressais un dernier adieu. Alors je pleurais!
Baignée de pleurs, je voulus replonger dans le rêve afin de retrouver le goût de ses caresses, l’ odeur de son corps nu sur le mien, la chaleur de son haleine et je pris conscience du danger qui me minait…
Le sommeil eût été un bonheur si je n’ avais pas appréhendé de l’ aimer et de le perdre encore.
Ô, souvenir, noble puissance, ton empire est dans ce lieu désertique et tandis que ma pensée pleure le bonheur perdu, elle s’élance dans l’ avenir pleine de désirs voluptueux et de délices.
Ah, la douce et terrible illusion qui me frappe de misère.
Je ravale ma douleur le visage noyé dans les coussins cherchant le sommeil pour prendre congé de la réalité et fuir les tentations morbides.
Je presse contre mon cœur cette chimère qui ne répond plus à mes cris et dans ma longue solitude, j’ interroge le silence et demande au ciel le son d’ une voix chérie afin que mes tourments s’ apaisent.
Nulle réponse!
Il fait jour maintenant, je me lève sur la pointe des pieds mesurant mes pas et écoutant le silence…
Encore une fois je sens sur ma bouche un baiser qui m’ôte le souffle…
C’ est mon imagination qui me serre fort dans ses bras et me dit qu’ il est là et que jamais il ne m’ abandonnera. Il me berce, sèche mes pleurs.
Je respire à peine, je n’ ai plus d’ haleine! Comment vivre sans lui, comment retomber dans la solitude.
Ahurie par l’étendue de mon désespoir… souffle une profonde douleur dans les fibres de mon cœur.
Ô nuit de tendresse!
O mon dieu, accorde- moi la paix, le souvenir de ses traits s’ est comme obscurci par mon désespoir et j’ observe ma folie.
Que mon cœur est changé! Je le sens à peine respirer.
Ô le douloureux murmure.
... Je meurs, je meurs…
Enfin le jour apparaî t et me prend en pitié.
J’ insulte le silence, m’ habille et sors!
La nature elle- même semble se réjouir de ma présence.
Et quand tout reprend à la vie, je me sens redevenir seule.
Oui, seule!