Une douce torpeur régnait dans l’atmosphère , après le déjeuner, Jeanne et sa mère s'intallèrent dans le grand salon rose et pour la première fois Jeanne discuta de ses angoisses pour sa rentrée dans le monde des adultes.
Elle était très intimidée mais surtout, très apeurée.
Elle n’aurait jamais voulu y faire part.
La lumière électrique caressait la mèche noire encadrant son front et éclairait son trés beau visage et le fin modelé de ses joues, ses yeux étaient d'un châtain foncé rayonnant, elle commençait à devenir une très jolie fille.
De moyenne stature, mince et souple, elle dégageait une vivacité extraordinaire et chacun de ses mouvements évoquait la grâce, une réelle distinction, sa voix était chantante, envoûtante presque.
Pour elle, aller à Marseille tous les jours, l'inquiétait terriblement.
Elle qui comptait toujours sur la protection de son grand frère parti lui aussi à la rencontre d’un nouveau monde ...
Comment allait-elle affronter ce nouveau parcours en solitaire?
Mais bien des choses l'attendaient et la surprirent.
Elle ne tarda pas à se faire de nouveaux amis, des grandes personnes aussi qui furent très importantes pour elle. Cela lui donna de l’assurance, elle avait besoin de ce qu’elle n’avait pas eu toute petite, - un père- les jeunes gens l’intéressaient moins, anodins, ils l’ennuyaient même, vides de sentiments et de valeurs pour elle qui voulait un homme intelligent et sensible, “ tout pour elle”.
Et elle commença à entendre ses amies parler d’amour…
l'Amour! l’Amour!
Inouie la nonchalance de comme elles en parlaient.
Jeanne, elle, le voulait sublime!…
Savait-elle vraiment ce qu’elle cherchait? Savait-elle qui était l’Amour. Allait-il la faire souffrir ou la faire réjouir?
Seule à l'idée qu’il aurait pu la blesser comme il le fit avec sa mère, elle en eu les frissons, mais elle n’y en échappa point.
D’après les conversations de certaines de ses amies, elle ne comprenait pas leurs jeux mi-mondains mi-amoureux où l’on se rencontre, se provoque, s’évite, s’effleure, se fuit, se donne. Et à la moindre faveur accordée à un damoiseau quelconque, après des semaines ou des mois d’assiduité, le voilà s’envoler dans d’autres bras.
Non! Jeanne ne comprenait pas ces jeux, elle, elle voulait être aimée et aimer sans conditions, mais surtout être unique, c’est tout…
Le feu qui commençait à flamber en elle n’était pas pour tous, elle devait attendre… Elle devait se considérer comme favorisée et daigne des soins attentifs d’un homme du monde, et non d’un prétentieux, d’un freluquet, d’un mirliflore. Il serait déplacé.
Avec un godelureau pareil elle aurait souffert les peines de l’enfer et peu à peu, comme une femme qui absorbe chaque jour une certaine nourriture finit par en être modifiée dans sa substance, et même dans sa forme, elle aurait fini par dégringoler dans un abîme sans escapade.
N’y était-elle déjà précipitée quand son père l’abandonna?
Non, elle devait attendre que sa première fois fût la plus belle.
Céder à ce flux merveilleux comme la nappe d’eau qui se fait buée et la pluie qui se fait neige… Sensations de torpeur qui sont liées au corps et que seul, qui s’aime vraiment, peut en convenir et en sentir la transformation...
Oui, c’était cela se concéder pour Jeanne et non tous, pouvaient éteindre ce feu inapaisable et fiévreux qui commençait à la dévorer et qu’elle attendait d’adoucir avec l’ être de ses rêves .
Son amour devait être une Déité qui lui fût sienne.
Elle ravivait ses voluptés du matin et préméditait celles du soir…
- ... Elle s’imaginait dans les bras de ce Dieu qui aurait eu la joie de l'étreindre, elle si jeune et si belle, lui, majestueux, vénérable, audacieux mais câlin.
Déjà du fond de son cœur naissaient ses chimères…
... Il la possédait de tout son être, et s’apaisait pour dessuite après reprendre vigueur, ô , quelle ivresse, quel délice, quels plaisirs.
Pensant à lui, elle en oubliait sa chasteté. Son sang, ses entrailles goûtaient cette suave connaissance de sa seule pensée.
Ô palpitante, ô tendre Divinité.
Elle ne haïssait point d'entendre le haletant émoi quand elle imaginait ses mains et ses doigts s'occuper aux endroits où l'Amour, en secret, aime tremper son dard pour y chercher et y découvrir la flamme et c'est ici qu'à son aise, cet homme enfin digne de son nom, aurait retrouvé ses désirs, en ce lieu, où il n’aurait craint d’en approcher sa bouche, en ce lieu de délice et d’ombre. Ô cher abîme vertigineux, l’amour, ce brûlant mystère semblait l’atteindre sans le connaître encore, elle en fit un poème, un véritable poème. Des frissons d’extase lui parcouraient l’échine pensant à sa première fois. Oui, ce devait être comme dans les contes, féerique et envoûtant.
Elle fantastiquait sur son état d’âme lorsqu’elle se serait donnée à lui en toute sa beauté fauve et son vif-argent scintillant.
Elle voyait sa tête s’abandonner au creux de son ventre infantile, elle l’aimait déjà. Elle voulait partager tous les plaisirs avec lui et lui offrir sa vie.
Mais un jour elle s’en souvient encore, une atroce sensation de vide dans sa poitrine la figea à la seule pensée que cet idole n’aurait peut- être jamais existé...
Elle l’avait si bien idéalisé qu’elle crût qu’il lui appartenait déjà.
C’est seulement plus tard qu’elle le rencontra, mais avant Lui, bien des peines d’amour elle souffrit…