Elle s’aperçut avec effroi qu’elle était devenue grande…
Son enfance avait cessé de chanter.
Elle emmenait tous les jours son petit frère à la crèche avant de se rendre à l’école elle même, pour ensuite, aller le reprendre dès la sortie, retournée chez-elle, elle étudiait et s’occuper de lui aussi…
La vie et l’enjouement qui l'enivraient jadis s’étaient carapatés avec l’absence de son père et de sa mère aussi.
Elle n’était plus la petite fille folâtre, imprudente et rêveuse qu’elle avait été il n’y a pas longtemps. Elle s’était fâchée avec ses rêves d’enfants, son caractère se brouilla… dès que sa mère retournait de son travail, elle ne voyait l’heure de filer ou dans sa chambre ou au dehors de chez elle, où l'attendaient les amis du village.
Elle n’en avait pas beaucoup, elle préférait les garçons de l’âge de son frère et elle n’hésitait pas, comme eux, à grimper sur les arbres et à lancer des pierres et à casser les carreaux pour se cacher ensuite… Ses genoux étaient contusionnés ou écorchés en permanence, elle se sentait libre, elle devint un garçon manqué…
Un jour, elle tomba d’un arbre et se cassa la jambe, mais après qu’on lui eut enlevé le plâtre, elle recommença de plus belle.
Elle n’était pas une enfant affectueuse. Il lui fallut des années pour apprendre à donner et recevoir de l’amour, elle était inapprivoisable, elle regardait le monde d’un œil maussade et repoussait la tendresse. Elle respirait sans vivre…
Où était le temps, où seule la fantaisie la gouvernait vraiment? Elle était gagnée par la nostalgie de son enfance tout en étant encore une petite enfant, certes non exempte de souffrances, mais elle la regardait soudain comme le seul âge où elle eut réellement vécue, la seule période où elle fut aimée sans que cet amour fut conditionné… Elle possédait alors un trésor plus précieux que tout et ne s’en rendit pas compte… C’était grâce à sa mère qui écoutait toujours avec attention ses désirs, qu’elle put faire de la danse, du piano, mais dès l’abandon de son père elle se sentit brutalement dépouillée de toute sa puissance, elle avait beau se convaincre qu’il retournerait devant ses prières mais en vain… Et c’est ainsi qu’ elle cessa de croire au pouvoir de ses rêves… Son père n’étant plus là pour accorder la vie, “malgré son mauvais caractère”, ses désirs n’avaient plus la moindre vertu et son absence l’avait faite oublier que l’amour se doit d’être céleste… Mais lui, cela il ne le sut jamais, car depuis le jour de son échappatoire, elle ne le revit plus jamais (…)