L’hiver était froid.
Jeanne et son frère ne le craignaient point, bien couverts d’un manteau et de gants bien chauds, les fêtes terminées, ils s’acheminaient maintenant sous la neige qui tombait doucement pour rejoindre lui son collège et elle, sa deuxième année du cours élémentaire.
Le sentier qu’ils empruntaient tous les jours était un raccourci qui leur permettait de gagner bien du temps et de savourer les bizarreries de la nature…
Ce bout de chemin blanc et sinueux ressemblait à un échantillon du temps… seules les racines des arbres s’y couchaient comme le jour sous le poids des heures. Elles envahissaient le sol et s’agrippaient à lui comme si elle ne voulussent y effondrer dans ses abîmes.
C’était un parcours d’herbe de ronces et de ruines, très étroit, on y touchait les murs qui le bordaient lorsqu’on ouvrait grand les bras.
Ils aimaient tous les deux s’y enfoncer et rêvasser à l’ombre des arbres ancestraux loin de leur demeure où l’atmosphère devenait de plus en plus lourde …
Mais, au sortir du sentier, une déplorable surprise les cloua au sol.
Dans un coin sombre, ils virent leur père enlacer une femme.
Dans leur folle étreinte, les “deux amants”, ne s’aperçurent de leur présence.
Interloquée, Jeanne tendit la main à son frère qui la lui prit avec douceur l’implorant de ne rien dire à sa mère au risque de déclencher une avalanche et ils s’enfuirent aussitôt, rebroussant leur chemin.
Ce jour là, ils firent tous deux l’école buissonnière.
Mais le vent emporta ses paroles bien loin.
Jeanne, le visage inondé de larmes, ne voyait l’heure de raconter à sa mère la malencontreuse anicroche; elle se sentit trahie, elle était si amoureuse de son père malgré sa forte haine, mais jamais elle aurait cru qu’en mouchardant telle rencontre, elle aurait déchainé un cataclysme sans pareil.
Quelle niaiserie avait-elle faite…
Sa maman, en pleine grossesse, à la terrible nouvelle s’évanouit, et quand elle remit les pieds sur terre, pâle comme la lune, elle leur fit promettre à son tour de ne rien dire à leur père.
Et cette fois, Jeanne s’en dispensa.
Sa mère croyait encore son mari amoureux d'elle malgré leur dix huit ans de mariage.
Mais s'étaient-ils mariés trop jeunes pour que leur amour ne dura toute un vie?
Et c’est à partir de ce moment qu’ elle se mit à faire l’investigatrice, malgré sa grossesse avancée…
Elle l’épia pendant des jours et des jours sans trêve… - À la sortie de son travail, le soir quand il rentrait tard, elle essayait d’aviser quelque trace dans ses yeux qui la fuyaient toujours, puis, un beau jour, exténuée par sa longue attente, elle vit que l'amante en question n’était autre que sa meilleure amie.
C’est ainsi qu’elle commença à exorciser de sa mémoire bien des épisodes qui la firent réfléchir sur le comportement passé de son mari… Comme quand un jour, se faisant la douche, habitué à se faire laver le dos, il l’appela avec le nom de l’autre, alors qu'elle, elle s’appelait Émilie.
Puis encore… comme le parfum qu’il lui faisait cadeau pour les occasions, le même parfum que portait son amie, afin qu’elle ne s’aperçut jamais de sa tromperie et encore et encore…
Tous ces épisodes émergeaient maintenant de sa mémoire, un après l’autre, jadis sans importance mais qui devinrent tout à coup comme montagnes qui l'écrasèrent aussitôt.
Avilie mais aguerrie, sans se laisser choir par la douleur, alors qu'il s’en revint un soir de ses réunions, elle lui révéla qu’elle avait découvert sa trahison.
Elle ne dit jamais que ce fut Jeanne à le lui dévoiler.
Une féroce dispute se déchaîna.
Jeanne et son frère se renfermèrent dans leur chambre. La vaisselle volait dans l'air pour puis choir et se fracasser à terre...
Leur père essayait de se disculper, de mentir même… mais leur mère ne se laissa pas impressionner et lui jeta à la figure tout le venin qui l’empoisonnait depuis bien des années.
Elle lui dit de faire ses valises et de s’en aller céans céans.
Mais lui, il prit du temps (…)