Quelques gouttes de pluie tombaient.
Accoudée à la fenêtre, Jeanne aspirait le vent humide qui rafraîchissait ses paupières.
Elle faisait un effort pour se tenir éveillée afin de prolonger la joie qu’ elle éprouvait regardant le soleil se coucher.
Elle le regardait longuement, l’ admirait.
Combien elle aurait voulu partager ses sensations...
Elle retint un sourire pour le souvenir qui vint l’ effleurer…
La nuit n’était pas encore sombre. L’ orage montait… un éclair jaillissait.
D’ instant en instant la nuit devenait plus noire. Elle grelotait de froid…
Elle ferma les fenêtres, se mit au lit et se blottit entre les draps contre un corps imaginaire, contre son "rêve" peut-être, et elle ne réussit à s’ endormir qu’à l’ approche de l’ aube et fut réveillée peu après par les gouttes de pluie de plus en plus enragées qui venaient claquer les volets.
Encore embrumée de sommeil, elle bâilla, s’étira, se retourna sur le ventre et enlaça l’ oreiller pour se serrer contre lui.
À son réveil, le grand jour arrivant, elle se leva, fit sa toilette, prit son petit déjeuner puis, elle tripota quelque indument en se demandant lequel la faisait plus belle et s’ alla promener, parapluie à la main, sur un sentier où la vie se propageait et distribuait ses illusions.
Elle passait et repassait tous les jours par le même chemin, s’ arrêtant quelquefois pour y admirer l’étendue qui lui faisait perdre la tête considérant avec ébahissement, que malgré qu’ elle l’ eût parcouru presque tous les matins et quelquefois, même au crèpuscule, elle en restait toujours surprise et enchantée car elle se présentait toujours à ses yeux, d’ une façon différente.
Tantôt la voûte était tintée de rose, d’ azur et de violet, tantôt voilée, éthérée, tantôt couleurs de révolte…
Aujourd’ hui, elle lui semblait de la même humeur qu'elle, « triste »…
C’ est une chose si maussade que de vivre seule.
Elle aimait la vue qui s’étendait devant elle. Capri, Ischia, Naples tout entière se livrait à elle. Il lui suffisait de poser ses regards un peu partout, que l’ univers était là. Elle le respirait, le savourait, avide, elle le buvait comme une assoiffée.
Elle ne trouvait rien de plus admirable.
Elle aimait voir se lever l’ aube aux couleurs caressantes.
Elle adorait assister au couchant qui la grisait de ses couleurs enivrantes…
Son esprit voguait librement, la contemplation lui élevait l’âme et lui donnait des idées d’ infini, d’ idéal.
Lorsqu’ elle le regardait un souvenir l’ affleurait et la faisait frémir. Il était gravé sur ses pensées, sur son cœur, sur tout son être.
O, comme ce souvenir déjà lui semblait loin!
Ah! Qu’ elle serait heureuse si le ciel ôtait de la vie tous ces ennuyeux intervalles qui séparent de pareils instants.
Qui donc éloignait à tant de distance ce souvenir d’ aujourd’ hui?
Il avait fait un trou dans sa vie, à la manière de ces grandes crevasses qu’un orage, en une seule nuit, excave quelquefois dans les montagnes. Il lui serrait le cœur, il était omniprésent.
Elle ne se résignait pourtant pas, elle ne voulait pas qu’ il s’ efface.
Toutes les fois que ce spectacle, ce prodige de la nature lui apparaissait, elle se disait en le regardant: « Ah! Combien de temps qu’ il est passé?
Mais peu à peu ce souvenir s'était confondu dans sa mémoire, quelques détails s’ en étaient allés, mais le regret lui était resté.
Lorsqu'elle s’était sentie seule, perdue, désespérée, elle avait peint ce souvenir, un souffle d'amour avait passé parmi les touches de son pinceau.
Chaque touche avait fixé sur la toile, une espérance ou un souvenir de la même passion silencieuse.
Sa pensée bondissait, se balançait de rêve en rêve, de tristesse en tristesse… cet amour avait emporté à l’ abî me son cœur entier.
Elle aurait voulu que cette œuvre appartienne à son « rêve », mais il n’ en fut point ainsi!
Après l’ ennui de cette déception, son cœur resta vide et alors la série des mêmes journées recommençait…
Plus rien n’ arrivait!
Sa vie devint un tunnel sans issue et sans lumière.
Elle regrettait son existence tumultueuse, l’éperdument d’ antan qu’ elle ne connaissait plus.
Elle alla ouvrir la fenêtre et huma l’ air frais pour se calmer.
Toute l’ amertume de son existence lui semblait servie sur un plat d’ argent…
Au fond de son âme, cependant, elle espérait…
Que serait- ce l’ existence sans l’ espérance?
La nuit, quand des pas résonnaient sous sa fenêtre, elle s’éveillait et écoutant, elle espérait que ce soit Lui "son rêve" qui venait la sauver de sa froide solitude.
Et elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, s’étonnait qu’ il ne vînt pas.
Il viendra demain se disait- elle et elle le suivait dans ses pensées, il illuminait ses nuits et elle, elle le charmait de mille délicatesses.
Elle ajoutait quelque chose au plaisir de ses sens...
Mais au petit matin, confuse, son rêve expirait...
Elle ne sentait plus comme une brise, circuler autour d’ elle un murmure d’extase.
Comme elle était triste.
Puis au coucher du soleil, toujours plus triste, elle désirait être au lendemain quand la lumière se déliait et abolissait l’ espace et la vie propageait ses illusions et l’ inondait de rêves pour aller jeter ses yeux pleins de tristesse vers un futur meilleur…
La solitude de sa vie la désespérait.
Et cependant chaque seconde, chaque minute, chaque heure du jour et de la nuit, elle n’ attendait que Lui.
Ne dit- on pas que… « La patience est amère et son fruit si doux. »
Oui, patiente, elle attendait que "son soleil" vienne la réchauffer, qu’ il vienne lui offrir des instants de délices, des instants de bonheur!
Ne valait-elle bien toutes celles qui vivaient heureuses?...