Plongée dans un désespoir de petite fille, debout près de la fenêtre entrouverte, à demi cachée par le rideau, alors qu’elle écoute le bruit de l’ heure, une petite dame fragile et tendre, contemple la nuit.
Son regard vagabonde profond et pénétrant vers l’ infini cherchant avec un peu de nostalgie, la turbulence de ses jeunes années à laquelle elle ne devait plus jouir, et le tendit, ramassant comme dans un coup de balai, jardins, roses au parfum profond et envoutant...
… Pour la veiller, la lune semblable à une hostie, s’ allume comme un grand feu de joie…
Elle referme la fenêtre, prisonnier le vent se couche sur son lit désordonné… et le rideau descend lentement sur le plancher.
Elle sent son cœur se serrer.
Dans son univers de plus en plus vide elle échafaude des rêves et s’ accroche aux chimères…
La jeunesse de son cœur, la jeunesse de son optimisme, la jeunesse de son élégance l’ aident à refuser l’ idée du temps qui passe.
Mais cela n’ empêche pas le temps de passer.
Elle a horreur de penser à son âge.
Elle veut l’ ignorer.
Hantise est la solitude qui l’ obsède, l’ anéantit,
la désespère.
Son cœur encor jeune n’ a jamais été au repos.
Toutes ses délusions, ses chagrins, ses passions… ce cœur encor jeune les a fidèlement traversés et dominés ensemble avec elle, il a tout subi sans jamais faiblir, sans jamais se plaindre.
Il a gardé sa fraîcheur, sa capacité de donner, de charmer, de souffrir, de rire…
D’ AIMER!
Au moindre rayon de lumière, il s’épanouit encore.
Dans un coin, cachée des yeux indiscrets, une chaise toute résignée, garnie d’ un chapeau de paille jaunit par le temps, d’un bouquet de fleurs pour celui qu’ elle aima, d’ un set de dentelle, joliment brodé de ses propres mains et d’ un écrin de fin carton enjolivé de dessins colorés qui contient des reliques et des vieilleries chères à son âme.
Il est, cet écrin, comme un immense caveau qui contient plein de souvenirs… des vieilles photos, deux alliances, une rose délavée par les saisons, une pensée desséchée, des vers, des billets doux…
Des souvenirs égarés dans les moires du temps…
Sauriez- vous jamais ce qui la traverse, ce qui la bouleverse, ce qui l’ envahit lorsque triste et seule elle y fouille dedans?
Elle s’émeut! Tout simplement...
Et viennent les larmes tout bonnement.
Un rituel qui ne change jamais.
Or chaque fois, c’ est un deuil qui se fait alors qu’ un souvenir meurt, qu’ un autre s’ en revient et qu’ un autre s’ en est allé.
Elle ne sait quelle angoisse froide, quel frisson la surprend quand elle martyrise à plaisir sa mémoire sans dire ce qu’ une autre aurait dit.
Elle parle à ces objets qui sont là… comme s’ ils l’écoutaient.
Ces monologues qui n’ ont rien de geignards, l’ auraient fait passer pour folle si on les avait entendus.
Elle trouvait dans ces souvenirs une raison de passer presque allègrement ses années d'exil éperdues d'espérance.
Mais une espérance dont on a si ardemment vécue pendant des années peut, quand elle se réalise et disparaît, laisser derrière soi un vide cruel.
Toutes ces reliques lui rappellent l’ homme dont l'ombre à chaque instant fuit.
Elle continue de penser à lui comme à un être tout proche qui n’ est plus là.
Mais il s'agit du passé, cette affection reste le plus brillant foyer de lumière de sa vie, c'est une affection pour un absent qui reste source de joie pour elle.
Quand elle remémore cette époque de sa vie, sa tristesse est justifiée.
Tout est déjà mémoire en cet écrin.
Quelle relique lui est plus chère?
Elle est si désespérée qu’ elle ne se souvient guère laquelle d’ elles l’ a rendue plus heureuse…
Les alliances d'or peut-être… seules témoins de leur union indéfinie.
Et comme une pauvre enfant abandonnée par sa mère, elle n’ est guère libre de se livrer à son chagrin pour cette absence…
Elle est seule, qui la consolerait?
Qui la croirait si elle vous disait que sa tristesse a pris les proportions de l’ immortalité.
Si vous y croiriez, vous viendriez sonner à son cœur encore plein d'ardeur, vous y viendriez rêvant, car elle vous attend, afin que d’ une haleine, vous veniez lui sécher ses larmes et la guérir de ses douleurs.
Elle n’ a plus assez de résistance et d’énergie pour supporter l’ absence.
Combien de fois dans la pénombre, exilée, le cœur lourd d’immémoriales nuits, elle invoque une voix qui sut jadis
l’éblouir pour pouvoir se confier sans gêne, une main pour pouvoir la serrer, un cœur pour pouvoir y poser son oreille et en entendre les pulsations pour se libérer de l’ angoisse qui l’étouffe et qui à petit- feu la tue, un nom, oui, un nom pour pouvoir avant de s’ endormir, le prononcer et lui dire … bonne nuit mon amour.
Son seul souci maintenant, c’ est de ne pas devenir folle.
Elle n’ est pas certaine d’ y réussir.
Qui de nous est fait pour ce qui lui arrive?
« Y a- t-il eu des gestes essentiels? Et d’ autres? Où aspirer tout l’ air de la passion déchue? »
Et elle sourit de ce rire gracieux de toute jeune fille, presque espiègle, puis, avec des moues d’ enfant, prise dans l’Opaque, elle pleure le passé perdu.
Mais est- ce juste que de puiser toujours au passé?
Rends- toi mon cœur dit- elle, rends- toi, n’ avons- nous pas assez vécu? N’ avons- nous pas assez lutté?
Beau ciel, regarde- la, après tant de grâce, après tant de ravissement, après tant de passions, elle s'abandonne maintenant dans ce monde aux armes sans pitié, et elle s’ y perd.Elle est vulnérable et n’ est pas faite pour voir la laideur.
Non! Elle ne la supporte point.
Mais cependant, alors qu’ elle regarde cet écrin plein de souvenirs déchus, elle attend qu’ un éclat de soleil vienne la réchauffer encore.
Rendue ainsi à la vie, elle pourrait enfin revivre de ce bonheur perdu.
Elle est de ces gens qui ont besoin d’être aimés, besoin de gestes gentils, besoin de chaleur humaine.
Un mot brutal la laisse triste toute la journée et les jours après.
Mais en ce lieu de rêves assassinés, en ce lieu présent d’innombrables souvenirs que l'ombre a dispersés, déjà elle dialogue avec la mort.
C’ est ici maintenant une saison de gel…
Ayez pitié de cette femme affolée et seule, qui avant de franchir la barrière vous crie son nom.
Prenez- le au vol et s’ il vous plait de l’ aider, aidez- la !
Mais personne ici n’écoute ses complaintes.
Pourquoi? Pourquoi?
Or, comme la nuit en appel à l’ oubli… sa vie semble se refermer, comme à la tombée du jour on ferme les volets…
Alors le silence!
Et son corps en appel…
crie!