- Tu aimes les contes de fées? Me dit un jour
l’ enchanteur .
- Oui répondis- je, j’ aime surtout les bonnes fées et les braves magiciens qui, d’ un coup de baguette, font toutes sortes de prodiges. Seulement, on m’ a dit que c’était bon dans le temps passé et qu’ on ne voit plus de ces choses là à présent.
- On en voit toujours quand on sait regarder,
répliqua- t-il sérieusement.
- Je voudrais tant voir un prodige! M’écriais-je…
- Viens! Dit- il en se levant alors que la nuit s'éclipsait doucement sous des teintes dorées et la rosée se dissipait tels des petits lutins affolés.
Tout semblait se réveiller sous les fraîches caresses de cette matinée de mai.
À l’ horizon déjà, se montrait la vallée joyeuse, multicolore.
- Quel beau temps lui dis-je!
- Tu vois comme tout est beau me dit- il!
Les bourgeons, à tous les arbres, s’ ouvraient ainsi que de petites mains vertes.
Des fleurs surgissaient parmi les herbes.
On aurait dit que chaque source chantait un air nouveau.
- Oui tout est si beau lui dis- je.
Et je laissais errer ma pensée après un vague rêve triste et beau par les champs où la sève immense se pavanait.
... Qui donc faisait ainsi reparaître la vie?
... Et qui donc animait cette rivière qui se promenait dans l’heure sans trace, qui flânait, qui coulait au soleil et se vautrait dans l'herbe?
... Qui trainait au loin ses eaux indolentes?
Les cieux et la terre étaient envieux de sa douce paresse.
Et je baignais dans une sérénité sans pareille, si elle n’effaçait pas la tristesse enracinée au plus profond de mon cœur, je la sentais m’ apaiser, me réconforter d’ une manière étrange, mais bien réelle.
D’ où émanait- elle?
Une brise molle détalait, battant des ailes parmi les feuilles.
Des murmures confus se répandaient dans l’ air.
Des fourmis se rassemblaient en un point noir.
Un lézard s’étirait et passait.
Une grive s’ envolait.
Je jouissais enfin de l’ orchestre invisible et du frôlement d’un petit rayon de soleil semblable à une fleur oubliée par l'hiver.
J’étais à l’ heure exquise des espoirs.
L’ air était si doux que j’ y sentais bercer l’âme d’ espérance et aucune force du monde n’ aurait pu m’ arrêter de fantasmer.
Et tout comme le rossignol donne la sérénade à sa compagne lorsqu’ elle couve leur progéniture, je tombais dans un paroxysme d’ extase, et ne cessais de répéter…
"Oui, c’ est un prodige, un prodige tout simplement."
Le fin froissement des herbes ondulantes et le divin murmure des arbres balancés m’ enivraient.
Il y avait tout à la fois dans ce paysage, une vie un repos qui satisfaisaient en entier mon existence et dès que je laissais se réjouir mes yeux, je voyais le ciel, la mer, les montagnes, les près en fleurs, et j’ oubliais ma misérable vie.
Ah, l'ivresse.
La nature me causait un véritable battement de cœur.
Merveille inconnue de la création.
Le bluet et les pâquerettes ouvraient leurs pétales et toutes ces fleurettes semblaient me célébrer…
Au loin, des rubans de peupliers et l’ oiseau dans le peuplier rêvant la tête sous l’ exil.
Quelle alliance confuse de feuillages et de plumes.
Un roitelet en frappant de ses ailes en cadence sur un rameau fluet, chantait des notes grêles.
J’écoutais le refrain qui s’éloignait, et confiais au silence toutes mes émotions.
Ô incurable rêveuse!
Je prenais une poignée de terre en main. En mon poing, un bourgeon à s’ ouvrir.
Et dans un battement de cils, s’éloignaient l’ angoisse, la tristesse et les soucis aussi.
Je cherchais et me souvenais… les bras rapportaient le rêve. Ne pas oublier.
Avec ses parfums de fleurs nouvelles, la nature m’ offrait un vert tendre à croquer.
Ses mains étaient pleines de fleurettes pareilles aux bouquets des mariées.
Qu’ elle était gaie.
Que son voile fleuri allait bien avec sa robe verte.
Des papillons, comme une onde de vie, frétillaient. On les prenait pour des fleurs envolées.
Je poussais un soupir d’ admiration.
- Hein ! Est- ce beau ? Fit l’ enchanteur.
- C’ est vous, lui dis- je, qui avait créé tout ça, en le regardant avec une déférence mêlée de crainte.
- Non ! Je n’ ai rien fait, répondit- il.
- C’ est Monsieur le Printemps qui a fait ce prodige, je ne suis que son humble serviteur.
- Il est bien puissant lui dis- je.
- Si, il l’ est ! S’écria- t-il, tandis que sa figure s’ illuminait, je le crois! Il n’ a qu’à souffler sur la moindre graine pour la changer en une plante fleurie. »
Il ramassa un gland de chêne et me le montra :
- tu vois ceci, cela tient dans la main ; eh bien ! S’il veut, il peut le métamorphoser en un arbre aussi haut et aussi touffu que ceux que tu aperçois là-bas, sur le coteau.
À l’ abri d’ un arbre de mon âge, ivre comme les oiseaux, je me laissais bercer par les haleines printanières alors que la vie se révélait à moi en toute sa splendeur.
Là, j’ investissais de mes rêves le paysage.
Sous l’épaule du soleil et dans le silence bleu, au sein des herbes, gémissait midi.