...Dans un pays du midi de la France, vivait une petite fille digne d'être aimée pour ses vertus et autant que séduisante par les charmes de sa personne.
Mais après que son père l’ ait misérablement abandonnée, elle prit à aimer sa mère si fort, qu'il n'y avait plus de place dans son petit cœur pour aucune autre personne.
Elle la comparait à une Madone, à une rose qui jamais ne se serait fanée...
Mais quand naquit son petit frère, elle crut, la voyant le serrer dans ses bras et pleurer comme jamais elle ne l’ avait fait, qu'il n'y avait plus de place dans son cœur pour elle.
Elle pleura aussi, mais de jalousie.
Elle ne savait pas que sa mère pleurait de détresse…
Elle allait élever seule son nouveau né sans le support de celui qu’ elle avait tant aimé… « Son père».
[… Avant qu’ il ne parte, la petite fille avait compris la haine immense de ses parents encor bien avant qu’ eux même l’ eussent soupçonné.
Elle avait toujours pensé que le mariage était un lien qui unissait les époux par un commun amour... [elle l'avait lu dans des histoires]... mais pour ses parents ce ne fut ainsi!
Pendant les nuits, elle restait réveillée et écoutait leurs innombrables querelles.
Le regard figé sur le plafond de sa chambre et en une indescriptible angoisse dans les os, l’insomnie la persécutait alors que le murmure interminable des pleurs de sa mère lui joignait déformé par la porte fermée et par sa même anxiété.
Elle ne s’ endormait point jusqu’à ce qu’ elle n’ avait pas entendu son père rentrer dans la nuit avancée.
C’ est alors que s’évanouissait l’ inquiétude.
Finalement, elle respirait, fermait les paupières et s’ effondrait dans le sommeil.
En entrant dans sa chambre pour lui donner un dernier baiser de la journée, son père la trouvait qu’elle dormait et s’ en allait tranquille la croyant heureuse.
Mais la petite fille savait qu’ un jour ou l’ autre son père s’ en serait allé et qu’ elle ne l’ aurait plus jamais revu…
Comme enfin s’était arrivé.
Sa vue se perdait dans le lointain, de plus en plus distraite, triste, elle n’écoutait plus, elle l’attendait toujours sans jamais qu’ il revienne!
Elle ne réussissait pas à imaginer deux personnes qui se haïssaient comme ses parents puissent avoir mis au monde un autre bébé.…
Avec le temps, elle s’était rendu compte que l'homme qu’ elle adorait pouvait être despotique et cruel.
Il agressait la maman sans trêve, et au milieu de tous les deux, c’ est elle qui faisait d’ arbitre durant leur interminable dispute.
« Pourquoi ne faites- vous pas la paix implorait- elle désespérée.»
Son cœur penchait de la part de son père.
Les anxiétés de la vie s’étaient éveillées bien vite dans son cœur de petite fille.
Lectrice avide et indiscriminée, la nuit venue, sous une lumière tamisée, elle se jetait dans la lecture et suppliait avec fantaisie romantique à ce que la vie lui niait... (La paix familière ou de s’ enfuir dans la forêt et semer la peur dans le cœur de ses parents trop attentionnés à se disputer.)
Et avec toutes les forces de sa pensée, écoutant la rumeur de tambour dans sa poitrine, sans même respirer, le découragement l’ empêchait de penser… l’ angoisse la pulsait sur les tempes…]
Et maintenant, toutes les attentions de sa mère étaient renversées sur cette créature à peine née. Elle souffrait...
Ce petit être allait lui soustraire l'amour de sa mère, l'amour qu'elle croyait avoir tout pour elle.
Ses nuits se remplirent de cauchemars... d’ hallucinations… d’ apparitions… de phantasmes…
Mais malgré ses incertitudes, elle se dit qu’ il était bien beau quand même son petit frère.
Et alors pourquoi était- elle si enragée?
Force parce que jusqu’ ici elle avait vécu rêvant?
O comme le rêve est doux quand on espère! Et son rêve était de voir retourner son père.
Ô espérance!
Elle avait été protégée des inquiétudes de son propre cœur et du même monde qui l'entourait.
Losanges, caresses, vices, l’ avaient accompagnée alors qu’ elle grandissait, elle vivait tranquille et maintenant, encore trop petite, huit ans à peine, pour comprendre l’ ouragan qui l'avait prise en plein et l’ avait ébranlée à jamais.
Ses yeux s’étaient égarés et remplis d’ ombres comme s’ ils s’étaient montrés à un puits.
Et son père, comment avait- il pu les abandonner à leur destin sans se soucier de rien et pourtant, ces petits êtres étaient bien les siens.
Mais avec le fuir du temps, elle prit à l'aimer aussi son petit frère.
Lorsque l'heure où le jour n'était plus, sans qu'il fasse encor nuit, quelle joie de se retrouver réunis au coin du feu qui dansait et flambait dans la cheminée… Au dehors le vent pleurait… « Chut, disait sa mère, ou tu réveilleras le bébé ».
Et silencieuse, elle les admirait.
Le bébé dans les bras de sa maman la remplissait d’émoi.
Et doucement, à pas de loup, le cœur battant, elle s'approchait d’ eux.
Sa maman la regardait de ses yeux verts sombres et la prenait sur ses genoux aussi.
O, comme elle était heureuse dans les bras de sa mère quand, dans le silence de la nuit naissante, elle commençait à lui raconter des contes imaginaires…
« Barbe bleue, l’ oiseau bleu et bien d’ autres histoires encore »…
Sa voix était si douce et mélodieuse qu’ elle se ravissait à l’écouter.
Dans l'horloge le tic tac se balançait au rythme des secondes.
Le chat ronronnait sur le bras d'un fauteuil tout près d’ eux. On aurait dit qu’ il écoutait lui aussi les fabuleux récits…
Ah, que ces histoires étaient belles! Qu’ elles faisaient peur et plaisir!
Quand sa mère lui narrait de « la mort de l’ oiseau bleu », elle avait les larmes aux yeux… et toute oreille, elle l’écoutait sans souffler mot…
« L’ oisillon s’ en va tout seul dans la nuit sombre… ciel sans lune, le vent souffle, la campagne est tombée dans l’ obscurité… l’ oiselet a peur, il a froid… il se demande amèrement pourquoi tout le monde le déteste alors qu’ il a perdu sa mère, lui qui n’ a jamais fait de mal à personne…
Cependant on entrevoit dans l’ ombre un gros oiseau de nuit qui traverse les airs d’ un vol silencieux. L’éclair brille. Des bêtes méchantes, embusquées sous des nuages, ricanent en se montrant à l’ oiselet… et tandis que l’infortuné va de droite à gauche, plein d’ effroi, le gros oiseau, au passage, le darde d’ un grand coup d’ aile et l’ oiselet tombe blessé…. »
Mais l'heure de se coucher arrivée… « Allons ma fille disait sa mère, quoiqu'il en coûte, l'histoire s'entendra demain plus à loisir.»
L'œil endormi, la petite fille s'en allait au lit.
Qu’ il faisait bon de se pelotonner dans l'édredon et dans la paix de la nuit et attendre le soir du lendemain pour ouvrir le livre d'or et entendre la fin du récit qui l'avait tant attristé...
Elle pensait au petit oiselet au pied d’ un arbre, blessé.
« Pauvre petit oiseau… que la terre te fasse un nid doux comme un duvet, était sa prière. »
Et elle s’ endormait pensant à son petit frère, si frêle…
Oui, maintenant elle pouvait dire qu’ elle l’ aimait aussi ce petit être venu au monde sans son père.
Mais il n'était pas seul, elle allait s'occuper de lui avec amour malgré son jeune âge...
Et tous les jours c’ est ce qu’ elle fit.
Alors que sa maman s'en allait travailler, elle prenait soin de lui… elle le lavait, l'habillait, et le portait à la pouponnière pour après la sortie de l’école, le reprendre et le choyer jusqu'au retour de sa maman.
Sa voisine venait souvent frapper à sa porte pour voir si tout allait bien quand elle était seule.
Elle était si petite et déjà elle se sentait responsable comme une grande personne…
Mais voici des pas dans l’ escalier... ils avançaient rapides, eh oui, c'était elle finalement.
…« Maman c'est toi qu’ elle criait… »?
"Oui, ouvre la porte ma chérie" répondait- elle de sa voix douce et fatiguée...
Ne fait pas de bruit maman, le bébé dort... mais c'était plus fort qu'elle, elle devait le prendre dans ses bras et l’ embrasser fort jusqu’à l’étouffer. Il lui avait manqué de toute la journée.
Non ! Elle n'était plus jalouse maintenant.
Elle aimait voir sa maman serrer son bébé sur sa poitrine et le poser dans son berceau, tout mignon tout beau, alors qu’ il s’ endormait paisiblement comme un oiselet bien heureux d’ avoir pour maman une femme extraordinaire et une petite sœur qui l’ adorait aussi…
Après avoir préparé le repas…
« Allons manger disait sa mère avant que la soupe refroidisse!»
Qu'il faisait bon vivre autour de ce plat réchauffant.
La cheminée flambait, l’ ombre faisait des grands tas noirs autour des meubles sombres et sur les murs, sournoise, elle jouait avec le feu.
Parfois quelque tison s’écroulait dans la cendre, et le foyer demeurait un long moment éteint, l’ombre enveloppait sa mère et la nuit toute entière avait l’ air de la ravir.
Puis des cendres la flamme à nouveau s’élevant, sa mère reprenait la forme de son être.
Elle semblait briller d’ un éclat tout nouveau...
Mais bien vite son petit frère grandit.
Inséparables, ils allaient dans les champs et quand ils avaient déchiré leurs pieds sur les cailloux, en les baisant au front, sa maman les appelait espiègles après avoir maudit leurs courses folles.
Lorsqu’ elle les tenait tous deux sur les genoux et mêlais en riant leur chevelure brune, elle riait heureuse…
Pendant longtemps ils restaient là, blottis contre elle, et elle disait parfois les yeux voilés de tristesse…
" O chers petits… un jour vous serez grands et moi je n’ y serai plus! "
Mais pour la petite fille et son petit frère, cette fleur rare, jamais ne se serait fanée et serait morte… Malgré les années, sa maman était toujours si belle.
Eh oui, les jours se sont enfuis comme le vent d’été entre deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux et encore aujourd’ hui, la petite fille devenue femme revoit ce cadre familial, quand, dès la fuite de son père, naquit son frère, et que jalouse, elle devint misérable d’ amour.
Elle voit encore, malgré l’âge, la jeunesse dans les yeux de sa mère qui lui souriait malgré la tristesse.
Et maintenant, devant la fenêtre, silencieuse, elle songe au bon vieux temps et au clair soleil de ses jeunes années.
Comme elle était joyeuse et belle quand elle allait, elle et son petit frère, cueillir au prés des fleurs au cœur doré pour les offrir à sa mère.
Elle a gardé fraîche la mémoire et se souvient quand sa maman lui racontait plus d’ une histoire alors qu’ elle n’ avait encor le regret des rêves d’ or.
Elle se rappelle quand fatiguée de la journée, elle sommeillait auprès du chat qui ronronnait au coin du feu.
Et quand le vent d’ hiver se taisait… elle oubliait son manteau d'hiver...
« que le printemps soit bien venu » lui disait- elle.
Bien en vue sur sa commode, le coffret de bois rongé par le temps la rappelle à son souvenir.
Elle soulève le couvercle et regarde une photo aux coins écornés, compagne de ses heures d’ennui, quelques fleurs séchées, des bouts de papiers, des lettres qu’ elle lit et relit... l’expression douloureuse reparaît sur son visage… de longs sanglots la soulèvent par vagues, tout revient en bloc… l’ odeur de sa mère, ses cheveux vaporeux, et son visage doux….
C’était jadis, il y a bien longtemps.
Les hoquets reprennent… de grands élans de tristesse l’étreignent.
Elle croit bien que sa maman l’ aima vraiment...