Savez-vous que je ne vous ai pas raconté le comment Jeanne a rencontré l’ homme merveilleux qui lui fît perdre la tête? Trop pressée peut-être de vous narrer leur approche amoureuse.
C’était un jour qu’elle sortait de son bureau, habillée d'un mantelet bleu aux revers blancs qu’elle avait emprunté à sa mère, et pour la première fois, elle avait coloré ses lèvres d'un rouge feu qui contrastait la pâleur de son visage et le noir corbin de ses cheveux longs et frisés...
C’était une heure trente de l’après-midi, juste le temps d’un casse-croûte au bar des matelots avec Ginette et vite vite de retour à son travail, n’ayant qu’une heure de trêve.
Alors qu’elle embouquait la rue de la République, adjacente à celle de son office, une voix derrière son dos...
"Mademoiselle S.V.P, (s’il vous plaît) pourriez-vous m'indiquer un mécanicien, ma voiture fait des caprices"...
Elle se retourna, le dévisagea, et embarrassée, elle ne sut lui donner des renseignements ne connaissant pas assez les lieux, tout en étant de Marseille. “Vraiment, en confidences, elle connaissait peu ou rien de sa Marseille”.
Il lui sourit et ne se découragea point, au contraire, la discussion se fit des plus intéressantes. Il gara sa voiture et l’accompagna un bon bout de chemin et après peu, il l’invita tout simplement à dîner dans un restaurant chic et à la mode qui se trouvait pas loin de son agence…
Qui sait pourquoi, elle n’eut aucune hésitation, elle ne savait qui il était, mais elle accepta quand même, elle oublia que Ginette son amie l’attendait, elle oublia tout et tous carrément…
Il semblait qu’ils se connaissaient déjà depuis longtemps…
Installés à une table assortie de fines porcelaines et de crystal, ils se racontèrent.
La voix de cet homme avait quelque chose de fascinant, cadencée, chaude et envoûtante... Il n’était pas Français, ses traîts se rapprochaient beaucoup plus à un Anglais qu’à un Italien.
Distingué, raffiné, beau d'allure, taille moyenne, très agréable, Jeanne tomba follement, aveuglément, irrévocablement amoureuse de lui et lui d’elle et n'essayez surtout pas de comprendre ou d'analyser la nature de ce sentiment, cet insondable mystère que nul ne saura jamais discerner, c’était chimique, c’est tout.
Il était Napolitain et vivait en France depuis déjà bien des années, représentant à la Richard Ginori, dont le talent commercial lui suffit à faire fortune.
Les amies de Jeanne faisaient assaut de charme pour attirer son attention et c'est à elle seule qu'il l'accorda.
Elle sut par la suite que les informations qu'il lui demandât ne furent que pour l'approcher, car sa voiture allait à merveille et elle n’avait aucun besoin des soins d’un mécanicien. Ce qui flatta beaucoup sa vanité, car elle était vraiment prétentieuse...
Malgré qu’il fût plus agé qu’elle de onze ans, c'était lui l'envoyé spécial, l’homme idéal, le père qu’elle n'avait jamais eu, elle le sentait et le savait. Ils s’aimèrent sans réserve tous les jours à venir, et lorsqu’elle sortait de son bureau à l’ heure tarde, ils allaient dans des restaurants que jamais elle n'aurait cru fréquenter, étant de moyens trés modestes. Quelle féerie, quelle magie.
Un soir, alors qu’ils se trouvaient à La Pointe Rouge, “le plus grand port de plaisance de Marseille, orné de plage de sable, le nom, vient de la couleur de la terre de ses petites falaises”… sous un ciel sombre enluminé de reflets rouges, roses, jaunes et violets, le couchant allait se jeter dans la mer... cette fascination pour les couleurs embrasées du coucher et de l'aurore venait sans doute pour sa passion de la peinture qui lui faisait voir la nature à travers ses yeux d'artiste, et tandis que les dernières lumières embrasées plongeaient et se noyaient à l’horizon, elle fermait les yeux, posait sa tête sur la poitrine de cet homme qu’elle connaissait si peu, et se laissait bercer par le fredonnement de son cœur palpitant.
C'est lui qui la fit toucher le paradis sur terre.
C'était elle l'étrangère dans Sa Terre, elle s' étonna de ne connaître tant de merveille et Lui, se réjouissait de la voir aussi enchantée devant tant de beauté...
Mais il ne savait pas que depuis que son père l’avait abandonnée, elle avait rêvé de faire des sorties pareilles à celles qu’elle faisait avec Lui quand elle était toute petite.
Sa vie d’entretemps, ne fut que de s’occuper de son petit frère, école, collège et travail...
Et un soir, alors que c’était son anniversaire, “dix huit ans”… il vint l'attendre à la sortie de son bureau et lui offrit une rose d’une candeur virginale comme elle n’en avait jamais vue, accompagnée d’ un paquet cadeau avec à l'intérieur un pantalon rouge, comme ses lèvres. Elle s’émue... jamais plaisirs la firent réjouir autant et en un susurre, les yeux fermés, elle lui donna un baiser si passionné qu’ils s’electrisèrent et s’aimèrent sans gêne à l’Hotel de Provence où il logeait…
Leurs chairs brûlaient d’amour...
Puis vint les fêtes de Pâques, là encore, il la surprit… Un petit écrin à la main, il le lui offrit d’un air dévot, mystique je dirais presque, elle l’ouvrit et y découvrit, ébaudie, une bague de fiancailles tempestée de diamants purs comme un cygne, accompagnée d’un parfum Chanel n° 5...
Mon Dieu, quelle émotion, il la connaissait si peu et l’aimait déjà si fort. Plus rien ne troubla les incertitudes de Jeanne, cet homme ne savait plus quoi faire pour l’enchanter, elle qui ne demandait rien d’autre que d' être aimée tout simplement...
Déjà il lui parlait de créer une famille... et lorsqu'il lui chuchota à l’oreille, un soir qu’ils étaient assis sur le bord d’une falaise à Cassis... "je t'aime Jeanne, veux-tu devenir ma femme, je ne puis vivre sans toi, dis que tu veux passer le reste de tes jours avec moi"... enjouée, elle accepta, car sans lui, elle n'aurait su vivre aussi.
Six mois passèrent depuis leur première rencontre et c’est le trois août d’un lointain 1962 qu’ils se marièrent, Elle, en tailleur de ville, qu’il lui fit cadeau pour cet évènement, une fleur de lys ornait le revers de sa petite veste Chanel et Lui, comme de coutûme, très chic et à la mode, jusqu'à ce que mort ne les sépare avec les seuls invités... la mère de Jeanne qui versait des larmes à flot, son petit frère Raymond et son grand frère Jeacqui qui leur fit de témoin accompagné de sa femme Louise, une amie de longue date de Jeanne....
Et c’est ainsi que commença l’histoire, le vrai roman d’amour et guérilla de Jeanne et d’Umberto… “Contreverses, chamailles, tirades d’objets, escapades en pleine nuit afin de le paniquer, mais toujours fous amoureux l’un de l’autre. Lui patient et elle capricieuse, pis d’un enfant gâté. Elle savait qu’il lui pardonnait toujours ses changements d’humeur, il l’aimait trop pour s’en passer” …
J’oubliais de dire que même les alliances, c’est lui qui les lui offrît ainsi que le repas de noce… Jamais personnes furent aussi généreuses envers elle et sa famille, sinon son bienfaiteur Raymond, qui entretemps s’était installé à Paris, ayant épousé une parisienne.
Jeanne se rappelle qu’elle se fâchât avec lui, car naïve, elle n’aurait jamais cru qu’il aurait épousé une autre femme et non sa mère.
Elle était amoureuse de Lui comme le sont tous les enfants de leur père, et lui, il lui fit de père!....