Pour Jeanne, les jours qui se suivirent ne furent plus les mêmes.
Elle avait perdu beaucoup de ses amies dans l’accident qui advint lors de la distribution des prix de l’année précédente et dont elle fut miraculée.
Le souvenir la hantait toujours, car l’auto qui avait causé tant de deuil et de pleurs, était là, abandonnée dans un cimetière de voitures qui se trouvait sur le chemin de son école, toute délabrée, et pendant bien des années, triste et pensif, son regard flânait au milieu de ces carcasses disloquées.
En plusieurs d’entre elles, la nature avait repris le dessus: des fougères poussaient au milieu des moteurs, à travers les portières et les toitures éventrées.
Ainsi dépouillées de leurs forces vitales, les entrailles rouillées, les yeux vides de phares, exsangues, Jeanne leur trouvait d’étranges ressemblances avec le corps des êtres vivants. Mais aucune d’elles ne subit jamais la transformation de la mort, métamorphoses du corps humain ignorées de ces voitures mortes, que le destin avait doté de cette inutile pérennité.
Elle s'attardait toujours à les regarder le cœur gros de tristesse, car chacune d’elles, devaient avoir sans aucun doute, une histoire bouleversante à raconter.
Elle se souvient que l’accident ne causa au conducteur de la voiture, amoncelée là, que quelques fractures et égratignures et que ce fut pour lui un miracle aussi “non mérité c’est sûr” mais il fut arrêté, , jugé, condamné et incarcéré pour conduite en état d'ivresse et pour avoir causé la mort de dizaine et dizaine de personnes qui se trouvèrent sur son passage, ignorantes du sort qui les attendait, insouciantes de partager, pour la dernière fois, la joie de leurs enfants, récompensés ce jour là pour leur bravoure.
Jeanne a encore devant ses yeux les obsèques de la petite communiante qui habitait tout près de chez-elle. Ses parents l'avaient étendue doucement dans un petit cercueil brodé de satin blanc, les mains jointes sur la poitrine avec le même habit blanc qu'elle portait au moment de l'accident, encore taché de sang…
C’est son dernier voyage pensa Jeanne alors…
Elle était précoce pour son âge car elle avait souffert la mort de bien des personnes qu’elle avait intensément aimées dans sa jeune enfance et elle avait appris que la mort était un voyage sans retour, et que chaque être qu’elle emportait avec elle, se transformait, selon son imagination, en une splendide étoile qui allait peupler les cieux déjà fourmillants d’astres le rendant plus précieux.
Elle l’admirait souvent quand le jour finissait et que les rougeurs du couchant s’effaçaient sous les teintes violettes de la nuit et elle était sûre que ce lieu, était un lieu merveilleux pour y recommencer à vivre.
Elle y croyait fermement et sa mère continua pour bien longtemps à le lui faire croire... et peut-être y croit-elle encore.
Il est vrai qu’il y a des douleurs qui s’effraient et qui se fuient comme des remords et que d’autres se nourrissent d’elles-mêmes et pour Jeanne ce fut ainsi, la vision de la douleur qui meurtrit bien des âmes ce fameux jour, encore affleure sa mémoire et lui serre le cœur toujours.