Et c'est à l'âge de cinq ans, que Jeanne commença à comprendre que la vie n'était pas toujours roses et fleurs.
Une anecdote la toucha profondément, et ce fut depuis… qu'elle commença à éprouver l’insupportable, l’irréfrénable sentiment de la Haine.
Elle savait que son père n'était ni doux ni bon car elle l'entendait souvent se disputer avec sa mère et non seulement avec la voix mais aussi avec les mains. Mais jamais elle n'aurait cru qu'il arriva à tant.
Son père était beau, de visage et d’allure, mais un incroyant et Jeanne, son frère et sa mère aussi, le craignaient fortement. Il travaillait comme maître fondeur dans une fonderie destinée à la fusion du cuivre pour la fabrication d’objets précieux. Jeanne n’a guère la souvenance du lieu, mais elle se souvient qu’à travaux finis, son père aimait exhiber ses trésors les exaltant comme de vrais chefs-d‘œuvre et ils l‘étaient.
Ils possédait le don de savoir tout faire et bien.
Il était aussi propriétaire d’une petite barque qu’il tenait amarrée aux vieux Port de Marseille sur la Canebière connue des marins des quatre coins du monde, grâce à son port les marins anglophones du début du XXème siècle traduisaient Canebière par Can-o-béer, canette de bière à cause des nombreux débits de boissons bordant l'artère...
Il aimait le dimanche, (même s’il gelait à fendre les pierres et la terre semblait morte de froid) en compagnie de son ancien père et de quelque ami, aller pêcher de bonne heure et lorsqu‘il portait les fruits de son infinie patience, c’était fête à la maison de Jeanne, car sa maman cuisinait le poisson divinement.
Mais l'épisode qui meurtrit son cœur d‘enfant, fut lorsque son chien Sultan tomba malade. Il commençait à donner des signes de déclin, il avait encore son poil sombre et soyeux, mais le tour de son museau, autrefois très brun, était devenu tout à fait blanc. Il perdait chaque jour un peu de sa vivacité, toute sa démarche semblait alourdie, ses noires prunelles jadis si brillantes, prenaient une teinte d’iris trouble, il ne voyait déjà plus. Il y avait bien peu à faire au dire de sa mère qui l‘adorait autant qu‘elle. Alors, Jeanne ne le laissait jamais seul afin de lui soulager ses souffrances et sa maman en faisait tout autant....
Mais Jamais elle n'aurait cru qu'un matin, en se réveillant de bonne heure, elle ne l'aurait plus trouvé au pied de son lit à l‘attendre, haletant. Après l'avoir appelé en vain, “Sultan… Sultan… mon chien… mon chien”… rien!
Sa maman aussi préoccupée qu’elle, la rassura quand même lui disant qu'il était peut-être parti pour ne plus la voir souffrir. Mais Jeanne n’y crut guère, elle s'éloigna et pleura en silence, croyant qu’il l‘avait trahie et abandonnée aussi...
Et une nuit, ce fut un vrai cauchemar...
On grattait à la porte d'entrée avec une violence inouï. Sa mère se réveilla et courut pour voir qui pouvait-être à cette heure tarde de la nuit. C’est en ouvrant la porte qu’elle poussa un cri bizarre, un cri éperdu, un cri errant qui passa sur les têtes et tous se réveillèrent sollicités et apeurés… Sultan exhalait à terre, blessé à mort, sanguinolent, on lui avait tiré un coup de révolver pour le supprimer. Bouleversée, jamais Jeanne n'éprouva pareille douleur se demandant …“qui avait bien pu faire une chose pareille?”. Son désespoir fut immense et non sans conséquence durant les mois suivants. C'était son père qui avait emmené son chien sur la colline Saint Joseph qui se trouvait à quelques kilomètres du village pour l’abattre, et à son dire, pour ne plus le voir souffrir. Peut-être que s’aurait été la meilleure solution si ce n‘est qu‘il l‘avait blessé seulement et qu’exsangue, Sultan retourna, non sans peine, après deux jours d’agonie, pour mourir là, où il avait vécu depuis toujours et, où tous l‘avaient aimé d‘un amour tendre. Jeanne n'oublia de sitôt les yeux langoureux de son chien qui la regardèrent longuement, sans la voir, avant d’expirer dans ses bras, mettant fin à ses atroces souffrances. Elle pleura longtemps!
Et ce fut depuis cette inoubliable nuit, qu'elle ne pardonna plus à son père l‘acte criminel dont il se macula.
Pour elle, il était devenu un assassin... le bourreau de son chien.." Abyssale fut sa haine. C’est ainsi qu’elle apprit que dans la vie mieux vallait s’attendre au pire qu’au meilleur! Et le pire n’était pas encore arrivé...