La pluie venait à peine de cesser et un vent léger balayait les nuages.
Le ciel se remettait au beau et dans la lumière virginale de la lune, grosse comme une fortune, le paysage, les profils des montagnes et les grands arbres se frayaient un chemin dans l’ ombre qui lentement se dissipait pour laisser la place au soleil qui déjà clignait de l’œil.
Louison, un tout petit bout d’ enfant, à l’ apparaître de l’ aube chantait comme le rossignol parce qu’ elle avait comme lui, le cœur gai et léger!
À travers la fenêtre entrouverte, elle souriait en regardant la mer et recherchait comment les vaisseaux d’Énée avaient été changés en Nymphes.
Elle rêvait de les rencontrer ces étranges créatures et de converser avec elles pour en écouter la fascinante histoire…
Elle vivait dans un monde de fantaisie tout à elle, et sa mère n'y pouvait rien!
Ainsi elle allait souvent vagabonder dans les bois par les chemins inconnus, solitaires, et elle s’abandonnait à ce brillant espace se laissant glisser au gré d’ une musique sourde, symphonie d’oiseaux et autres insectes.
Tout le contraire de certains enfants qui préfèrent rester sagement à la maison emmitouflés dans leur lit jusqu’à midi.
Elle non!
Elle, elle aimait vivre à l’ aventure et en plein air le regard alangui sur la mer.
La quiète de certains lieux la charmait et la faisait rêver.
Lors de ses promenades matutinales, il lui arrivait toujours des choses curieuses.
Mais voilà que soudain, le son hésita dans son gosier.
Quelle puissance invisible avait donc étranglé la chanson dans la gorge de Louison?
C’était la peur!
Elle ralentit le pas, écouta et entendit des miaulements de détresse qui sortaient d’ un buisson encore humide de la rosée de la nuit.
Ses rameaux épineux semblaient trembler alors que curieuse et apeurée, elle les observait silencieuse.
Son cœur se serra et ses jambes s’ amollirent.
Pourtant, rien ne la menaçait.
Mais quel être pouvait bien faire frétiller ce buisson sage et se plaindre à tel point d’ en faire frémir ainsi son âme?
Était-ce ces étranges créatures qu’ elle attendait depuis si longtemps?
Elle se fit un grand travail dans sa tête et comprit qu’ il fallait craindre la peur plus encore que le danger.
Et elle eut peur d’ avoir peur.
Elle s’ approcha du buisson avec une prudence minutieuse, en écarta les brindilles épineuses et regarda du coin de l’œil.
À son étonnement, elle vit une petite boule grise sombre, blottie sur elle- même et toute tremblante de froid et d’ effroi.
C’était un petit chat d’ une race incertaine avec une jolie tête rousse bien coiffée, une queue bien touffue et soyeuse. Il n’était pas plus gros que son poing, les yeux aigus comme les flèches, beaucoup plus apeuré qu’ elle.
Inquiet, il sortait ses griffes et s’ apprêtait, si elle s’ approchait, à l’ attaquer sans repentance.
Elle resta un long moment immobile pour ne pas l’ effrayer plus de ce qu’ il ne l’était et avec un air d’ inquiétude et d’ espérance elle dit doucement, doucement, des « Miaou! Miaou!...» en allongeant les bras, puis affectueusement, elle le prit dans ses bras et le porta sur son cœur avec une douceur infinie afin d’ en apaiser la peur, car la pauvre bête tremblait de tout son être.
Elle laissa errer ses mains sur ce petit corps encore froid de la nuit, lui offrant de toute part sa bouche aux baisers.
Cette petite boule de poils tout hérissés se détendait et ronronnait joliment dans les bras douillets de sa sauveuse.
Elle l’ aimait déjà ce petit orphelin.
Elle lui offrit sa jeune âme.
De plus en plus tranquillisé, la tenant embrassée, le petit chat lui mordillait la pointe des doigts qui tentaient de le toucher partout, et ses ongles affilés comme des aiguilles, s’ enfonçaient dans sa chair en guise de caresses.
C’ est comme ça que font les chats quand ils aiment.
Il ne cessait de ronronner.
Oh! Qu’ il était doux d’ entendre ses ronrons… et son petit cœur palpiter fort joliment.
Ainsi, elle décida de l’ adopter sur l'instant et lui donna un nom…
Pompon! Oui, Pompon sera ton nom dorénavant lui dit- elle car un chat ne peut vivre sans nom.
Le petit chat lui lécha la main de sa langue râpeuse, comme s’ il avait compris que désormais il lui appartenait.
O, comme elle était heureuse. Louison souriait et chantait encore accompagnée des ronrons de Pompon.
Quelle belle musique se répandait dans l’ air bleu qui baignait un fouillis de fleurs.
Même les oiseaux chantaient en chœur dans les rubans de cyprès.
Louison décida de le porter chez- elle pour sachant que sa maman ne voulait pas d’ animaux dans la maison.
Il n’ en était pas question et rien ne lui aurait fait changer d’ idée disait-elle toujours.
Elle savait qu’ elle allait être réprimandée sévèrement, mais ce fut plus fort qu’ elle, elle fia le sort et se confia à Dieu.
« Arrive ce qu’ il arrive ».
Et prenant son courage à deux mains, elle sonna à la porte de sa jolie maison.
Quand sa maman en ouvrit le seuil et vit ce petit être aux prunelles vertes, au nez rose et aux poils roux qui, sans se soucier d’ elle, se dégagea des bras de Louison et d’ un bond s’ en alla se placer sur la chaise auprès de la cheminée qui lui appartenait, elle s’étonna d'abord de le voir si sûr de lui mais surtout si effronté.
Mais elle sourit en cachette et dit à sa fille d’ une voix contrefaite… « Ma petite chérie, tu l’ as voulu, eh bien, rappelle- toi qu’à partir d’ aujourd’ hui tu as une grand belle tâche, dorénavant tu t’ occuperas de cette créature qui me semble bien mal élevée et mal nourrie aussi.
Sache que les animaux ont besoin, d’être éduqués, de soins constants, mais surtout de beaucoup, beaucoup, beaucoup d’ Amour, toujours! »
La petite Louison n'en crut pas ses oreilles et se donna bien du travail pour satisfaire les besoins de son petit chat.
Pleine de joie, elle lui prépara un bon petit repas.
Pompon, à l’ odeur alléchée, descendit de la chaise, s’ approcha, flaira l’ assiette, avança la patte, puis le menton, allongea une langue gourmande et, en quelques minutes, vida le plat.
Puis il se lécha, se lissa, se lustra et, repu bondit de nouveau sur la chaise et s’ endormit ravi.
Depuis Louison et Pompon devinrent inséparables si ce n’ est que lorsqu’ elle s'en allait à l’école.
Mais dès son retour, c’ est lui tout d’ abord qu’ elle allait embrasser et serrer fort dans ses bras, et lui à son tour, venait à sa rencontre la queue en l’ air en guise de bienvenue.
Pompon commençait à vivre avec la famille dans une intimité toute conjugale rêvant sur la chaise de la patronne de la maison alors que Louison faisait ses devoirs, descendant au jardin
l’ accompagnant dans ses promenades, assistant à ses repas et interceptant parfois le morceau qu’ elle portait de l’assiette à sa bouche.
Comme il l’ aimait et comme elle l’ aimait aussi.
Délicieux ses ronrons récompensés par des caresses.
Mais une année, au début de l’ hiver, la petite Louison tomba malade.
Elle allait plus mal de jour en jour.
Le moindre mouvement lui portait des douleurs à la poitrine.
La toux la secouait toute.
Elle avait pris une vilaine pneumonie.
Un matin, comme elle allait se lever, prise d’ une défaillance, elle retomba au creux du lit où l’empreinte de son corps restait toute chaude.
Un souffle frêle sortit de ses lèvres… « Pompon… Pompon… »… et plus rien!
Dans l’ angoisse qui faisait battre son cœur, sa maman accourut, la coiffe de travers, et d’ un geste désespéré, la serra fort dans ses bras et lui dit dans un murmure étranglé de détresse…
« Louison, Louison ma petite chérie, je suis là, chut… chut… je suis là, n’ ai pas peur, je suis là près de toi ».
Mais Louison ne l’ entendait déjà plus.
Sa maman secoua la tête avec une lassitude infinie et pleura en silence.
Ainsi, la porte de la chambre de Louison fut close et condamnée.
Depuis, Pompon ne la revit plus jamais.
Ne sachant ce qu’ elle était devenue, chaque après midi, à l’ heure accoutumée, il l’ attendait, puis se résignait triste, la queue basse, ne la voyant pas arriver, ce qui, on le comprend, faisait l’étonnement de la famille désespérée.
Mais un jour passa par devant sa porte une toute petite fille aux traits ressemblant à ceux de Louison.
Pompon en la voyant, s’ y trompa.
La queue en l’ air, il alla à sa rencontre, lui passa et lui repassa entre les jambes en faisant des ronrons de joie!
Et elle, de la main lui caressant le dos, murmura d’ un ton joyeux…
"Mon Dieu quel beau et brave chat."
Fort content, il la regarda mais n’ en reconnut ni le visage et ni la voix.
Alors, pour ne pas se montrer fort déçu et malheureux, il lui lécha la main en guise de salut, et s’ en alla penaud sur sa chaise auprès de la cheminée dans l’ espérance de revoir Louison d’ un moment à l’autre, et de se laisser caresser de nouveau…
Le printemps revint, radieux et indifférent à la douleur qui consumait le petit chat à l’ intérieur.
Il ne sortait plus… en oubliait l’ heure du souper et attendait toujours le retour de son « Amour perdu» se laissant bercer par le doux souvenir de sa première rencontre.
Il aurait fallu un magicien pour qu’ il parût compatir ses souffrances.
Oh! Combien il l’ aima et combien elle l’ aima aussi ce petit chat sans nom qu’ elle appela Pompon.