C’était hier!
Comme si le temps s’était figé.
C’était l’ hiver…
Comme il neigeait!
Les flocons tourbillonnaient joyeusement et brodaient les toits des maisons d’ une fine dentelle.
Dans la voûte étoilée brillait une lune de lait.
Une pluie de flocons tombait comme des fleurs envolées et le vent faisait le bruit d'un géant qui respire.
On l’ entendait se plaindre.
On ne savait quelle langue il parlait tant il causait tout bas.
Il fallait beaucoup d’ attention, le moindre bruit couvrait sa voix.
Et si vous n’ avez jamais entendu ce que dit le vent, je vous plains !
C’ est une faculté que peut-être ont seuls les enfants.
Sa voix les fait fabuler, rêver, voyager !
Retenez votre souffle et faites comme eux…
Écoutez vous aussi sa voix qui murmure parfois doucement et parfois essoufflée décoiffant les cheminées de leur capuchon, déshabillant les arbres et replongeant dans les champs éparpillant les graines que l’ on voit éclore au printemps.
Même l’ herbe frissonne en l’écoutant.
Elle s’ agite en une danse effrénée babillant confusément.
Elle aime ses murmures et le frôlement de ses douces caresses.
Je me souviens, que dans la lueur du crépuscule, on pouvait apercevoir l’ horizon s’ enflammer et des bouquets d’ arbres d’ un vert sombre agiter leurs branches dénudées sous le soupir du vent.
O, le souvenir du couchant…
Le vent aujourd'hui a balayé et effacé les souvenirs amers et a porté le deuil des amours mensongères.
Alors que les flocons continuaient à tomber par millier, les bois crépitaient, les fenêtres palpitaient, les portes soupiraient et les montagnes se recouvraient d’ un voile blanc, et dans la lumière de la lune virginale, elles s’ estompaient et se perdaient dans le lointain.
On aurait dit qu’ elles étaient peuplées de génies, de sorcières, de fées et de géants.
Mais les enfants ne se souciaient guère ni du froid qui congestionnait leurs doigts, ni des fantômes qui peuplaient les montagnes, ni de la voix du vent qui venait leur chuchoter à l’ oreille … « soyez prudents les bébés il est tard, allez vite vous coucher! »
Mais le vent parlait à lui- même… C’ est comme ça qu’ on dit quand on parle et on ne t’écoute pas… (Mais est- ce que je parle avec le vent ?) car cette soirée était spéciale et les enfants n’ avaient point l’ intention d’ obéir à sa voix et d’ aller se coucher.
Figurez- vous, ils étaient occupés, malgré l’ heure tarde, sous la lumière d’ un lampion, à construire avec deux grosses boules qu’ ils avaient roulées, le corps et les pieds, et avec deux gros boutons et une carotte les yeux et le nez, et comme il faisait froid il fallait bien l'habiller… une écharpe et un chapeau en guise de bonnet.
Et le voilà, notre bonhomme de neige était né.
Il n’était pas sans talent, il était beau, grand et élégant avec son chapeau à la Fred Aster.
Il se dressait majestueux au beau milieu d’ un tapis blanc comme la statue de la liberté.
Tous les enfants commencèrent à le bombarder de mille et mille boules de neige qui volaient comme affolées, dures comme de vrais projectiles.
Notre pauvre bonhomme de neige commenç a à se préoccuper de voir comme les enfants s’ en donnaient à cœur joie à le malmener ainsi.
Était- il né pour être bombardé se dit- il tout attristé. Les ingrats!
Mais tous au petit bonheur, jouaient à faire la guerre sans se soucier de le blesser.
Comme ils riaient les espiègles alors que les munitions volaient.
Mais ils étaient si adorables.
Quelle insouciance l'enfance.
D’ autres prenaient place sur des luges, attrapaient la piste et filaient comme des lèpres le long des pentes gelées, faisant de superbes glissades tout en criant "place… place… large… large…. gare… gare… » à qui malencontreusement se trouvait sur leur passage.
De temps en temps, quelqu’ un perdait l’équilibre et tombait, et tous ceux qui le suivaient, chutaient aussi, roulant dans la neige molle.
Ils se relevaient tout engourdis par le frimas, se secouaient, riaient comme les enfants savent le faire, et recommençaient à se poursuivre dans le vent qui leur fouettait le visage et dans la nuit qui les enveloppait de son manteau froid et blanc.
Folâtres, ils ne se souciaient guère du gel qui ankylosait leurs mains, rougissait leur petit nez et leurs joues les faisant ressembler à des clowns bien drôles.
Comme ils aimaient l’ air frais qui leur fouettait le visage.
D’ aller au lit, pas question… on aurait dit que le froid les ranimait.
Et notre bonhomme de neige entretemps se préoccupait de plus belle.
Il n’ avait pas tort de s’ en faire autant, car tout à coup, comme par enchantement, venu d’ on ne sait où, comme un furet au corset blanc et léger comme un écureuil, un tout petit garçon au nez congestionné et aux pommettes empourprées, fonçait sur la foule et investissait de plein fouet notre bonhomme de neige effarouché.
Sa vieille luge avait pris de l’élan et glissait sans contrôle sur la pente gelée.
Cramponné et affolé, le pauvre enfant criait comme un forcené…. « Au secours… à l’ aide… à l’ aide écartez- vous… au secours! »
Mais qui aurait pu arrêter une si folle course?
Tous restèrent à le voir dégringoler la pente glacée ensemble à notre bonhomme de neige qui, chapeau au vent, nez en avant, yeux écarquillés, se vit transporter sur le dos de notre infortuné et chevaucher au beau milieu des visages stupéfaits.
C’ est ainsi qu’à toute allure, ils s’éloignèrent et disparurent dans un talus gelé et bien touffu.
La course terminée, nos deux pauvres infortunés s’ en sortirent mal réduits.
A leur vue, tous jetèrent un cri d’ alarme et s’ enquirent de les aider…
Quelle scène pitoyable.
L’ un, l’ enfant, à moitié étourdi, s'en sortit avec une jambe toute écorchée et un bras cassé… l’autre, notre pauvre bonhomme de neige, décapité, fractionné et déconfit, se fondit comme neige au soleil laissant sur le tapis blanc un mas de débris sans vie.
Tous les enfants furent bien malheureux d’ avoir perdu ainsi leur compagnon de jeu…
Avec qui allaient- ils faire la guerre dorénavant?
Mais les assaillants ne renoncèrent à leur entreprise.
Ils décidèrent avant que la nuit ne les surprenne tout à fait et ne les enveloppe d’ un voile noir comme charbon, de se mettre au travail et de construire un autre bonhomme bien plus beau, plus grand et bien plus élégant que le précédant.
Ingrats, ingrats les enfants...
Ils avaient déjà oublié notre pauvre bonhomme qui s’était offert volontaire à faire la guerre.
Ainsi, l’œuvre terminée, satisfaits de leur exploit, tous se donnèrent rendez- vous dès le petit matin afin de bombarder de mille et mille boules de neige notre nouveau venu.
Quelle insouciance!
Ah, la joie de vivre des enfants.
C’était hier!
Comme si le temps s’était figé.
Ô mémoire!
C’était l’ hiver…
Comme il neigeait!
Et folâtres, comme on s’ amusait!