Je devrais dire plutôt « prélude d’ un désespoir », mais à l'époque où je fus ravie, ce fut un prélude d’ espoir.
Ce souvenir que j’ avais refoulé avec acharnement, que je croyais anéanti à jamais, surgit maintenant au tréfonds de ma mémoire pour s’ imposer à ma conscience et me ramener brutalement au lieu où tout luisait dans la douce lumière du jour déclinant...
C’était un mois d’ août d'il y a quelques années déjà… "Comme passe le temps".
Il me semblait que le soleil me saluait joyeux s’ en allant se noyer dans les flots.
Je savourais le bonheur pour la première fois depuis des années de deuil.
J’ avais refusé beaucoup de prétendants bien avant cette chimère, je ne voulais plus aimer, je me disais toujours... « j’ ai été amoureuse une fois et si je sentais le mal me reprendre, je fuirais à toute allure…
Ô, illusion! Je ne fuyais pas, au contraire, je courus vers cet inconnu comme je ne l’ avais jamais fait auparavant.
Le monde, qu’à peine hier me semblait hostile, tout à coup me souriait.
Je m’ envolais vers d’ autres cieux. Je m’élevais au dessus de l’ horizon, je me sentais superbe. J'en oubliais mes maux.
Ma chimère se plaisait de me faire visiter son lieu d'origine, plein de charme et de mystère…
Je constatais avec joie que j’étais bien en sa compagnie, je frissonnais malgré moi et mon cœur se réjouissait de fouler enfin cet endroit prodigieux…
Sous la fascination d’ un merveilleux couchant, de Lui, de cet inconnu, je tombais amoureuse.
Tous mes membres s’ incendiaient, je craignais que mes vêtements ne prennent feu et m’ assurais que je ne sentais pas le roussi.
J’ aimais cette sorte d’étourdissement qu’ apporte le bonheur. On dit que toutes les femmes rêvent de mourir d’ amour s’ il est dans la fureur d’ un amour qui débute, autant se jeter corps et âme et arrêter l’ incendie qui dévaste.
Un croissant de lune brillait dans un ciel fourmillant d’étoiles, une légère brise dissipait la chaleur de la journée.
Émue par le spectacle qui s'offrait à ma vue, je fermais les yeux et inspirais l’ arôme qui se répandait dans l’ air.
Avec lui, près de lui, je connaissais de nouveau la joie de vivre, le silence et la quiétude qui régnaient en ce lieu étaient presque palpables.
Je baignais dans la sérénité, si elle n’ effaçait pas la tristesse enracinée au plus profond de mon cœur depuis des années, je la sentais m’ apaiser, me réconforter d’ une manière étrange mais bien réelle.
Mais d’ où émanait- elle?
Ô, ce souvenir! Cet espoir imaginaire!
Après que le rideau de la nuit se soit installé, j’ assistais au merveilleux spectacle, je vivais au ralenti, le ciel déployait à l’ infini sa voûte enflammée.
La couleur sauvage rendait encore plus admirable le paysage qui s’ offrait à ma vue. Le ciel semblait un rideau éclairé par mille ampoules.
La lune au centre de la scène, s'exhibait en toute sa splendeur dans la solennité de la nuit.
Après que le soleil embrasé outre passa l'horizon, l ’ ombre tout-à-coup envahit l’ espace, on aurait dit que des entités brumeuses et translucides se déplaçaient en flottant dans l’ air.
Seul un tout petit bateau illuminé, sillonnait la mer ténébreuse. Sans lui, je ne l'aurais jamais distinguée.
Troublée, je sens encore doux l'émoi.
Mon désir n’ avait nul besoin d’être davantage attisé. Mon amour atteignait le sommet de l’ extase.
Il régnait tout autour une douce tiédeur.
La mer, les arbres, tout frémissait sous une brise légère. Au loin, les collines se découpaient entre le ciel que le couchant teintait de lilas et de mauve auquel le soleil déjà bas sur l’ horizon, mêlait des reflets couleur cuivre.
Un arbre majestueux, plusieurs fois centenaire, abritait un petit restaurant de la chaleur.
Nous étions là tous les deux, à jouir de la douce atmosphère.
Je me laissais aller à une vague rêverie.
Je renouais avec mes premiers émois de jeune fille sans me soucier de son aspect.
Redevenue boulimique de vie, ma peau réclamait l’ ivresse des passions juvéniles.
Il avait su faire palpiter mon cœur flétri par les années et transi par la solitude…
Je m’ abîmais dans des songes éveillés où cet homme occupait tour à tour, le rôle du prince charmant dans la belle au bois dormant.
Mais j’ ignorais que son cœur était de pierre et son âme souillée.
Cet homme était impuissant aux tendres délices de l’ amour…
Combien j’ aurais pris plaisir à lui enseigner la ferveur d’ aimer, à en goûter l'essence et à en prouver les nuances . Mais mes tentatives ne retinrent son attention.
Ma nature volcanique a ébranlé à jamais ce rapport.
Seule à présent, étendue sur mon lit, je ne peux chasser de mon esprit le souvenir de quand je me prêtais à l’ illusion.
Je blasphème contre moi- même pour ne pas avoir été préparée aux délusions d'amour et mon seul souci depuis notre rencontre, fut de ne pas devenir folle, je n’étais pas sûre d’ y réussir.
Qui de nous est fait pour ce qu’ il arrive?
Pardonnez à mon cœur les regrets déchirants qui s’ attachent aux jours où j’étais aimée, où mon existence était si nécessaire à l’ existence d’ un autre, lorsque tous les instants je me sentais soutenue et protégée.
Quel isolement succède à ce temps de délices.
Quand on aime et qu’ on ne se sent plus aimé, on se blesse de tout et chaque instant de la vie est une douleur et presque une humiliation.
Qu’ elles sont heureuses celles que leur lien d’ amour a conduites au bonheur sans qu’ un moment cruel ait déchiré leur vie les plongeant dans la douleur.
Le sommeil eut été un bonheur si je n’ avais pas appréhendé de rencontrer cette chimère en songe.
Avide d’ un bonheur sans nom, hélas, ma faute a été celle de vouloir vivre un rêve impossible. Faiblesse humaine.
Ce peut- il que pour jouir d’ un tel moment, mon cœur ait fallu sentir les angoisses de l’ enfer?
Mais les amours ne meurent pas quand on le leur commande.
Je songe vaguement à maudire les Dieux de l’ Olympe qui se jouent de moi.
Même les rencontres de hasard sont dues à des liens noués dans des vies antérieures et de nouveau dans l'atmosphère de cette soirée d'un mois d'août mémorable, j'avais cru pour un moment au précepte...
"Ne laisse personne venir à toi et repartir sans être plus heureux".
Ô l'illusion, quelle erreur colossale que d'y avoir cru...
Pour moi ce fut tout le contraire…
"je partis heureuse et m'en retournais terriblement malheureuse. »
Non parce que je m'attendais à qui sait quelle aubaine, mais certainement je ne m'attendais pas à tant de cynisme et exigüité...
Mais j'ai malgré tout, un merveilleux souvenir du lieu que je visitai, et c'est lui, LE LIEU, qui m'a soldée de la délusion d'avoir cru à l'imaginaire.»
Le sommeil me gagne. Il est temps d’ oublier!